Sud-Kivu: La multiplicité des frais de justice freine les survivantes à porter plainte

Début juillet 2021, Feza a été victime d’un viol à Bukavu dans la province du Sud Kivu. La petite n’a que 16 ans. Pourtant, elle a regardé, impuissante, son bourreau qui abusait d’elle.

” C’était aux environs de 13 heures quand je revenais de l’école,le voisin m’a appelé en prétendant qu’il va m’envoyer les mégas. Lorsque je suis entré dans sa clôture, il a fermé la porte et son attitude avait changé”, relate Feza avec les larmes aux yeux.

“Il a commencé à me brutaliser. Vu qu’il avait la force plus que moi, il est parvenu à me faire entrer dans la maison et fermer sa porte et c’est là où j’ai vu la mort que je me suis évanoui. Il en a profité pour accomplir son désir sur moi “, regrette Feza.

Plusieurs jours sont passés et Feza n’arrive toujours pas à porter plainte, contrainte de vivre avec cette douleur en permanence.

“Je n’arrive pas à dénoncer cette situation à la justice. Je suis une orpheline et je n’ai pas les moyens pour suivre de près les différents processus pour que le violeur réponde de ses actes”, révèle Feza. Sa famille aussi n’a pas porté plainte faute de moyens. Comme pour Feza, nombreuses autres femmes en RDC se terrent dans le silence par peur d’affronter une justice trop coûteuse.

Une lourde procédure

En RDC, les dossiers de violences sexuelles ne bénéficient pas d’allègement en justice. Comme pour d’autres cas, les survivantes sont contraintes de payer plusieurs frais, souvent informels, pour voir leurs dossiers ouverts.

“Officiellement, l’ouverture d’un dossier est gratuite à la police par exemple. Mais pour que les policiers suivent ton dossier tu dois payer de l’argent. Il faut des frais de transport pour aller faire le constat sur terrain, les frais pour l’attestation médicale qui constate le viol, les frais pour la communication de l’officier et ainsi de suite”, indique Me Lievain Gibungula, coordinateur de la ligue de la zone afrique de la défense des droits des enfants et élèves.

Des frais que la plupart des survivants n’arrivent pas à assurer.

“ Le monnayage des services judiciaires ne facilite pas des femmes et des filles qui n’ont pas des moyens d’accéder à la justice”, ajoute Douce Namwezi, directrice de l’organisation Uwezo Africa initiatives.

“C’est pourquoi, elles préfèrent carrément se taire ou chercher d’autres voies de sorties dont les arrangements à l’amiable”, indique-t-elle.

Nicolas Lubala, président urbain de la Nouvelle dynamique de la société civile pense aussi que l’allégement des frais judiciaires pourra permettre aux survivantes de dénoncer facilement.

“La justice congolaise doit réduire les montants fixés pour permettre à chaque victime de parvenir à dénoncer même sans moyen financier”, souligne-t-il.

Il affirme que le cas de Feza n’est pas isolé car des jeunes filles restent traumatisées par ces genres de situation parce qu’elles ne possèdent pas de moyen pour recourir à la justice.

Garantir l’accès à la justice

Président du tribunal pour enfants de Bukavu, le juge Jules Tulinabo, reconnaît la diminution des cas de violences sexuelles examinés par sa juridiction par rapport aux années précédentes.

« Aujourd’hui on traite au moins 3 à 4 cas par deux semaines, parce que les victimes et leurs familles n’arrivent plus à dénoncer et certaines ne font plus confiance à la justice”, reconnaît-il.

Pour lui, la méfiance vis-à-vis de la justice en constitue une des raisons principales. Surtout quand il s’agit de payer les frais exigés pour des procédures.

“ Elles pensent que l’état congolais est égoïste, n’agit pas à leur égard raison pour laquelle elles préfèrent faire des arrangements à l’amiable ou taire les cas” ajoute-t-il.

“La République Démocratique du Congo ne dispose d’aucune loi spécifique garantissant
aux victimes l’accès à la justice”, s’indigne Me Gibungula.

“C’est en principe cette loi qui doit ordonner la gratuité de tous les frais de procédure vis à vis des survivantes. Ainsi,celles qui sont vulnérables ne seront pas taxées pour voir la justice s’activer”, plaide-t-il.

En attendant l’amélioration de la loi congolaise pour garantir l’accès des survivantes à la justice, les autorités du Sud-Kivu invitent tout de même les survivantes et leurs familles à dénoncer.

« Les survivantes des violences sexuelles doivent penser premièrement à la justice car, lorsqu’elles dénoncent avec retard on remarque dans la majeure partie des cas, la fuite des bourreaux avant même le début des enquêtes », conseille Cosmos Bishisha,
ministre de la santé du genre et famille.

Rappelons que la République démocratique du Congo s’est engagée à éliminer toutes
les formes de violences sexuelles à l’égard des femmes.

“L’article 14 de la constitution
du pays insiste surtout sur le fait que le pouvoir public doit faciliter l’accès des
survivantes à la justice. La RDC doit concrétiser cela avec des lois et pratiques plus justes envers les survivantes des violences sexuelles”, conclut Douce Namwezi.

Johanna Byena Linda/JDH/JamboRDC

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