Bukavu : La stigmatisation empêche des survivantes à dénoncer les viols

La stigmatisation des survivantes de viol plutôt que des auteurs est indéniablement l’un des principaux facteurs de la continuité de l’impunité dans la ville de Bukavu en province du Sud-Kivu. Elle constitue ainsi l’un des obstacles majeurs d’accès à la justice pour les survivantes. Ces dernières se retrouvent souvent rejetées par leurs maris, leurs familles et leurs communautés. Raison de plus pour elles de se taire par peur d’être à nouveau stigmatisées, humiliées, bannies, incriminées ou exclues d’un soutien économique.

Violée par son cousin, Agnès (nom d’emprunt), 12 ans, et sa maman ont préféré taire l’affaire pour ne pas diviser la famille et sauvegarder la réputation de sa fille. Les faits se passent en novembre 2020 à Bukavu, dans la province du Sud Kivu à l’Est de la République démocratique du Congo.

« (…) Je l’ai envoyé chez mon frère quand elle avait 8 ans parce que je n’avais pas assez de moyen pour payer ses frais scolaires. A 12 ans, je l’ai vu revenir à la maison accompagnée par une voisine qui ne faisait pas partie de la famille. Apres elle m’a dit que son cousin de 22 ans l’obligeait déjà de coucher avec elle. (…) J’ai décidé de garder silence pour sauvegarder les liens de famille et aussi la réputation de ma fille. Je n’ai même pas pensé à l’Etat parce que la justice congolaise appartient au mieux offrants », explique la mère de cette fille.

Pour Jolly Kamuntu, défenseure de droits humain et présidente de l’organisation Karibu Jeunesse Nouvelle, KJN, le silence des survivantes de viol suite aux stigmatisations est un frein majeur dans la lutte contre l’impunité. D’où son appel à l’Etat congolais de garantir la justice à ces filles et femmes pour leur permettre de dénoncer les bourreaux et de ne plus avoir peur d’être pointé du doigt.

« Si l’Etat congolais faisait très bien son travail, certaines survivantes n’auraient pas peur de dénoncer leurs bourreaux. Et aussi, tout le monde comprendrait que la société n’a aucun droit de stigmatiser ces victimes. Elles ne l’ont pas voulu. Cette stigmatisation est due aussi aux coutumes rétrogrades. Nous continuons à croire toujours que c’est la femme qui a tort. L’homme reste un être intouchable…tout cela doit prendre fin et encourager les victimes à briser le silence pour bien mener la lutte contre l’impunité », pense Jolly Kamuntu.

De son côté, Angel Kasi Kalulu, juriste, regrette qu’il y ait encore de femmes qui ne connaissent pas leurs droits. Pour elle, quelqu’un qui connait la loi ne pointera jamais du doigt une survivante de violence sexuelle.
« Si les survivantes savaient qu’elles sont protégé par la loi, elles auraient le courage de dénoncer et les auteurs et ceux qui les stigmatisent… », indique-t-elle.

Pour Me Papy Kajabika, responsable de l’ONG Vision sociale (VISO), les personnes qui stigmatisent les survivantes des violences sexuelles peuvent être poursuivies pour diffamation.

«  En droit congolais la diffamation est le fait d’imputer à quelqu’un des faits précis, vrais ou faux, à même de porter atteinte à son honorabilité. Le fait de discriminer ou de jeter le discrédit sur une survivante des violences sexuelles peut conduire les auteurs en prison », indique-t-il en citant l’article 74 du code pénal congolais.

Ce que soutient aussi le major Marcel Cibangu, commandant de la police de protection de l’enfant et prévention de violence sexuelle dans la ville de Bukavu. Pour lui, il est strictement interdit de stigmatiser les survivantes de violence sexuelles.

« Dire que nous ne faisons pas bien notre travaille c’est une accusation de trop. Nous ne pouvons pas être partout au même moment. Aucune survivante n’est venu dire qu’elle est stigmatiser au quartier et la police a croisé le bras… nous demandons à la population d’avoir confiance à la police. Ensemble nous allons mettre fin aux violences sexuelle en punissant et les bourreaux et ceux qui stigmatisent les survivantes des violences sexuelles », s’est-il expliqué.

La lutte contre la stigmatisation pourra donc amener plus de survivantes des violences sexuelles à dénoncer leurs bourreaux, estime Jolie Kamuntu. «  Il faut continuer de faire la sensibilisation communautaire pour faire face à la stigmatisation à la quelle font face des survivantes des violences sexuelles », conclu-t-elle.

Rachel Rugarabura

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