RDC : Quand des services de sécurité traquent des images « compromettantes » anti-régime dans des téléphones portables

En République démocratique du Congo, plusieurs centaines de personnes ont été victimes des arrestations après des fouilles impromptues de leurs téléphones par des services de sécurité. Une pratique jugée illégale par des défenseurs des droits humains.

« J’ai été arrêté parce que je détenais une caricature de Kabila dans mon téléphone avec une légende qui disait Kabila dégage », raconte Anicet Mata, un jeune étudiant de la ville de Kinshasa.  Ce jeune de 27 ans a été interpellé par les agents de la police en avril 2018. Il a passé 48 heures en détention. « Je revenais de la ville un soir et voulais prendre un taxis au niveau du rondpoint Victoire. Des agents en tenue civile m’ont interpellé puis m’ont obligé de leur donner le code de mon téléphone. Ils ont fouillé dans la galerie photos, puis dans les messageries. Ils sont tombés sur des images qu’ils ont qualifié d’outrage au chef de l’Etat », raconte Anicet. Ce soir-là, il a été interpellé avec une dizaine d’autres personnes, il sera relâché quelques jours plus tard.

Henry, militant d’un parti politique de l’opposition, a aussi été interpellé pendant la même période. « Les policiers m’ont retrouvé à Yolo, ils ont exigé de fouiller mon téléphone. Mais comme il était neuf et je n’avais pas des photos et messages qu’ils recherchaient, ils m’ont relâché », témoigne-t-il.  « Je ne comprenais pas ce qui se passait. Je n’avais commis aucune infraction pourtant », ajoute Henry.

Une surveillance généralisée

Cette forme de surveillance numérique sur des téléphones des citoyens s’est produite dans plusieurs villes de la République démocratique du Congo ces dernières années. Dans le pays, des centaines de personnes, militants ou journalistes ont été arrêtées ou interpellées pour avoir détenu des images ou messages jugés « compromettants » contre le régime. C’est-à-dire des photos, des vidéos, des caricatures ou des messages critiquant le pouvoir. Cette situation a pris beaucoup d’ampleurs depuis 2016, à la veille de l’expiration du second et dernier mandat de Joseph Kabila, ancien président de la république, soupçonné de vouloir s’éterniser au pouvoir. Pendant deux ans, des fortes manifestations ont eu lieu sur l’ensemble du pays. Ce qui a conduit le régime à accroitre la surveillance et la répression des populations. Malgré la transition pacifique du pouvoir en 2018, le nouveau régime s’est retrouvé, à son tour, contesté sur sa légitimé suite au manque de transparence des élections.

 « Quand j’ai été arrêté à l’ANR (service de renseignement NDLR), ils m’ont tout d’abord exigé de leur donner le code pour déverrouiller mon téléphone. Dans mon watsapp, ils ont vu des messages qu’on s’échangeait avec  les autres militants. Ils ont conclu que je complotais contre le président de la République », raconte Didier, un militant pro-démocratie, arrêté pendant la marche organisée par le Comité laïc de coordination, CLC,à Kinshasa.

 « Une fois on a été dans une manifestation, ils ont ravi des téléphones aux gens qui filmaient. Ils leur exiger le code, fouillaient leurs téléphone et exigeaient  d’effacer les vidéos de l’activité », témoigne Grâce Maroy, militante du mouvement social Lutte pour le changement, LUCHA, à Bukavu.

Ces fouilles des téléphones par policiers et agents de renseignements ont été légion à Kinshasa, la capitale de la RDC. Le but, selon les agents de sécurité, était de contenir une menace contre le régime en place confronté à une forte contestation contre son maintien au pouvoir en marge de la Constitution.  Des arrestations, des interpellations ont été dénoncée par plusieurs habitants et organisations œuvrant dans les droits humains en République démocratique du Congo.

« Nous avons reçu plusieurs alertes et documentés des cas que nous avons suivis », reconnait Me Jean Claude Katende, président de l’ASADHO, l’Association africaine des droits de l’homme, une ONG spécialisée dans le monitoring des violations des droits humains en RDC. « Des personnes qui détenaient des images ou des messages ont été arrêtés puis menés en prison pour ça », ajoute-t-il. Si l’ASADHO n’avance pas des chiffres précis du nombre des cas documentés, plusieurs autres sources de la société civile parlent des centaines de personnes interpellées et des milliers d’autres fouillées par les services de sécurité entre 2016 et 2018.

Des éléments de la police arrêtent un citoyen au cours des manifestations contre Kabila, 2017

Une pratique illégale

Du côté des autorités, on reconnait l’existence de cette pratique qui, selon elles, a été mise en place dans le but de préserver l’intégrité du territoire. « Il y a des personnes qui sont fichées car dangereuses pour la sécurité nationale. Quand on les arrête, on doit fouiller les téléphones parce pour trouver des preuves», affirme sous anonymat un officier de l’ANR, le service des renseignements de la RDC. Ainsi, beaucoup de journalistes critiques contre le régime, des opposants politiques, des militantes pro-démocraties ou activistes des droits de l’homme ont été arrêtés ou leurs accusations aggravées après la fouille de leurs téléphones.

Mais il nie l’officialité des fouilles  des téléphones opérées par les agents de sécurité dans les rues de Kinshasa. «  Ce sont des agents indisciplinés qui le faisaient dans les rues ou des quartiers pour rançonner les habitants. L’ordre n’était pas officiel », tranche l’officier.  

Mais certaines personnes arrêtées après fouille de rue affirment avoir été détenues dans des cachots officiels de la police et soumises à l’interrogatoire dans ces lieux. Ce qui laisse perplexe Me Claude Angonge, responsable de l’association pour la justice et la paix, AJP, à Kinshasa. « Nous avons reçu beaucoup d’éléments qui prouvent que ces agents agissaient pour le compte du gouvernement et de leurs services », indique-t-il.

Pour Me Jean Claude Katende cette pratique est inadmissible. « Il s’agit d’une violation de la vie privée des personnes », tranche Me Katende.

Ce que soutient aussi Me Daniel Lunzere, avocat au barreau de Kinshasa. Pour lui, la fouille opérée par les agents de sécurité  dans les téléphones  des citoyens viole le droit à la vie privée  si elle ne se fait pas dans le cadre de la loi. « S’il s’agit d’une perquisition numérique, cela doit se faire dans le cadre d’un dossier précis qui est en instruction devant la justice. Mais ce qu’on remarque c’est simplement une violation des droits humains », note-t-il.

Selon l’article 31 de la Constitution de la RDC, « toute personne a droit au respect de sa vie privée et au secret de la correspondance, de la télécommunication ou de toute autre forme de communication. Il ne peut être porté atteinte à ce droit que dans les cas prévus par la loi. »

Même si les fouilles des téléphones anti-régime dans des lieux publics ont baissés depuis l’arrivée de Félix Tshisekedi, à la tête du pays, les défenseurs des droits humains restent à leurs gardes pour que ceci ne se reproduise plus. « De plus en plus nous n’entendons pas des cas comme ceux rapportés à l’époque de Kabila. Mais ça pourrait se reproduire », craint Me Jean Claude Katende. Il exige aux nouvelles autorités de tenir leur promesse de faire respecter un état de droit en République démocratique du Congo.

Prince Murhula

This research on digital surveillance was supported by the Media Policy & Democracy Project (MPDP), jointly run by the University of Johannesburg and Unisa.

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