Huit mois après la fermeture des banques et des coopératives financières à Kavumu, les femmes de cette cité rurale du territoire de Kabare, dans la province du Sud-Kivu, ne cachent plus leur détresse. Située à une trentaine de kilomètres de Bukavu, Kavumu subit de plein fouet les conséquences économiques de la suspension des activités bancaires ordonnée par le gouvernement congolais depuis la chute de Bukavu et de plusieurs localités voisines entre les mains des rebelles du M23 en février 2025.
Cette situation, censée être temporaire, a plongé des milliers d’habitants dans la précarité. Sans accès à leurs épargnes ni possibilité de crédit, beaucoup de femmes voient leurs activités s’effondrer et leur indépendance économique menacée.
Les activités des femmes paralysées
Dans cette cité de montagne, de nombreuses femmes s’étaient regroupées au sein de coopératives locales ou d’associations de solidarité pour développer de petites activités génératrices de revenus. Parmi elles, Nanzige Xaverine Ihanja, responsable de l’association Femmes Tonde Tonde, témoigne des difficultés rencontrées depuis plusieurs mois.
Cette organisation féminine œuvre dans plusieurs domaines : banque de semences, artisanat, tressage de paniers, entrepreneuriat et épargne communautaire. Avant la fermeture des banques, les femmes y trouvaient un véritable souffle économique grâce aux dépôts et aux prêts obtenus auprès des coopératives.
« Souvent, nous collaborions avec les coopératives pour effectuer des dépôts et obtenir des prêts lorsque nécessaire », explique-t-elle. « Mais depuis la fermeture des banques et des coopératives, nos activités sont totalement bloquées. Auparavant, nous pouvions solliciter un crédit à la banque et le rembourser grâce à notre travail. Aujourd’hui, nous peinons à survivre. »
La même situation frappe durement Aline Kazibaziba Immaculée, une jeune couturière de 27 ans installée au centre de Kavumu. Elle confie que l’argent qu’elle avait épargné dans une coopérative locale est désormais inaccessible. « Depuis la fermeture des banques, je n’ai plus accès à mes économies et il m’est impossible d’obtenir un crédit pour renforcer mon atelier. Comme il n’y a plus de circulation d’argent, je me sens complètement bloquée », témoigne-t-elle.
La crise n’épargne pas non plus les familles d’enseignants et d’étudiants. Julienne Mutunzi, fille d’un professeur de Kavumu, n’a pas pu reprendre le chemin de l’école.
« Depuis la fermeture des institutions de microcrédit, notre quotidien est devenu extrêmement difficile. Mon père est enseignant et sa rémunération est très faible. Autrefois, grâce à de petits emprunts, nous pouvions financer mes études et subvenir à nos besoins essentiels. Aujourd’hui, tout a changé. L’école a rouvert, mais je ne peux plus y retourner, faute de moyens. »
Elle ajoute avec émotion : « Je rêve de poursuivre mes études, mais sans crédit ni aide, cela est devenu impossible. Mon père avait déjà remboursé un emprunt et espérait en obtenir un autre. Malheureusement, avec la guerre, tout accès aux crédits a été suspendu. »
La jeune couturière Aline renchérit : « Nous traversons une période d’incertitude. Les vols augmentent parce que plus personne ne garde son argent à la banque. Beaucoup de familles vivaient grâce aux prêts des coopératives. Je refuse de baisser les bras : je continue à travailler avec d’autres femmes dans les mutuelles et associations villageoises d’épargne pour ne pas sombrer totalement. »
Des autorités locales et experts tirent la sonnette d’alarme
Interrogé à ce sujet, Bénit Mugisho Mushengezi, délégué du chef de groupement de Bugorhe, reconnaît l’impact dramatique de cette fermeture sur la vie économique des femmes.
« Depuis la suspension des institutions bancaires, nous avons constaté une détérioration notable de la situation économique locale. De nombreuses personnes n’ont plus accès à leurs économies, ce qui a paralysé les petits commerces et fragilisé les ménages. »
Il ajoute que des initiatives communautaires d’entraide ont été encouragées pour atténuer les effets de cette crise.
« Nous avons promu les mutuelles et les associations villageoises d’épargne et de crédit afin de permettre aux femmes de continuer à s’entraider. Mais ces efforts restent limités. J’appelle les autorités et les partenaires à soutenir les initiatives locales et à relancer les services financiers, car appuyer les femmes, c’est renforcer toute la communauté. »
De son côté, Samy Jean Takimbula, vice-président et président intérimaire du bureau de coordination de la société civile du Sud-Kivu, souligne l’ampleur des dégâts sociaux.
« De nombreux jeunes et femmes disposaient de comptes bancaires, participaient à des initiatives d’autonomisation et à des projets éducatifs. Aujourd’hui, tout est à l’arrêt. Les données de SOSAM, un centre de santé mentale, montrent une augmentation inquiétante des cas de dépression, d’AVC et de troubles cardiovasculaires liés à cette précarité. Quand les parents ne peuvent plus nourrir leurs familles ni payer les études des enfants, la société tout entière vacille. »
Pour le professeur Augustin Mutabazi, expert en comptabilité à Bukavu, cette situation découle d’un réflexe sécuritaire du gouvernement face à la guerre.
« Le gouvernement a redouté le pillage des fonds bancaires dans les zones occupées. Mais cette mesure a provoqué un effet inverse : l’économie locale s’est asphyxiée. »
Il explique : « La fermeture d’une banque empêche les déposants d’accéder à leur argent, freine la consommation et bloque la circulation monétaire. Les femmes, qui représentent une large part des acteurs économiques locaux, sont les plus affectées, car elles dépendent souvent des coopératives pour financer leurs activités. »
Enfin, Me Serge Byamungu Masirika, juriste et défenseur des droits humains, rappelle que « l’État congolais a le devoir légal de protéger les droits économiques des femmes, y compris en période de conflit. » Selon lui, la loi du 1er août 2015 et la Constitution garantissent la protection financière des personnes, mais leur application reste quasi inexistante dans les zones sous contrôle rebelle.
« Le gouvernement aurait dû trouver des solutions humanitaires temporaires pour protéger les femmes de l’Est, plutôt que de les abandonner dans cette situation tragique. »
Un cri pour la reprise économique
Face aux critiques croissantes, le porte-parole du gouvernement, Patrick Muyaya, a déclaré lors d’une conférence de presse à Kinshasa en juin dernier que ces fermetures n’étaient pas un choix politique.
« Nos banques ne sont pas fermées par décision volontaire, mais à cause des conditions de sécurité et du risque de sanctions internationales liées à toute transaction avec un groupe armé », a-t-il expliqué.
Cependant, sur le terrain, les conséquences sociales sont palpables. À Kavumu, à Kabare et dans d’autres localités du Sud-Kivu, les femmes réclament la réouverture rapide des banques et la reprise des services de crédit. Elles demandent également un appui concret pour relancer les activités économiques communautaires, vitales à leur survie.
Divine Kashali, soutenu par l’ONG Journalistes pour les Droits Humains (JDH


