Sud-Kivu : Le vote de la loi exemptant les survivantes des violences sexuelles de frais de justice, un avantage dans la lutte contre l’impunité dans les zones en conflits

Dans plusieurs zones en conflits de la République Démocratique du Congo, les cas des violences sexuelles et Basées sur le Genre (VSBG) continuent de se produire et restent impunis. Ceci parce que les survivantes des atrocités dont plusieurs vivent dans la pauvreté ne sont pas en mesure de payer les différents frais exigés pour soutenir un procès. Cette situation empêche les survivantes d’accéder à la justice, et cela constitue un frein dans la lutte contre l’impunité.

Dans son rapport portant sur la période comprise entre le 1er juin 2020 et le 31 mai 2021, le Haut-Commissariat des Nations Unies aux Droits de l’Homme (HCNUDH) avait documenté plus de 90% des violations et abus sexuels dans les provinces où les groupes armés sont actifs. Il s’agit en particulier du Nord-Kivu et de l’Ituri, et dans une moindre mesure dans les provinces du Sud-Kivu et du Tanganyika.

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Dans le groupement de Kaniola en territoire de Walungu dans la province du Sud-Kivu, un bon nombre des femmes et jeunes filles ont été violées et certaines ont eu du mal à dénoncer leurs bourreaux faute des moyens financiers pour payer les frais de justice.

« J’ai manqué les moyens pour dénoncer mes bourreau car je n’avais pas de l’argent à payer à la justice pour que mes violeurs subissent la rigueur de la loi et voilà que J’ai été déçue de vivre », Témoigne Shukuru, violée à l’âge de 16 ans.

Il y a quelques années, elle a été violée par un groupe de jeunes membres d’une milice présente dans sa communauté. Malgré qu’elle ait pu identifié les auteurs, elle ne peut se permettre de saisir la justice faute des moyens.

« Un jour, j’étais à la recherche des marchandises pour vendre, Je suis arrivée à une barrière où il y avait des miliciens armés qui m’ont demandé de l’argent que j’ai donné et ils mont violé. J’ai tenté de résister mais ils on menacé de me tuer. Ils m’ont prise de force et m’ont violé », raconte Shukuru.

Même cas pour Bulangalire (nom d’emprunt), âgée de 25 ans et violée par les hommes en armes.

« Je rentrais à la maison en provenance de l’endroit où j’exerçais mon activité de petit commerce. Je vendais de la braise. En cours de route, j’ai rencontré des hommes en armes qui m’ont demandé de l’argent, je n’avais pas la somme demandée. Ces hommes m’ont violée tour à tour et je suis tombée enceinte par la suite. Aujourd’hui j’ai une fille de 8 ans », a-t-elle laissé entendre.

Et d’ajouter :

« Je voulais dénoncer les violeurs à la justice mais je n’ai pas pu y arriver faute des moyens. Je n’ai aucun soutien. Jusqu’à maintenant, le dossier reste en suspens car il y a personne qui s’implique dans cette affaire suite à la peur de dénoncer des personnes en armes selon eux. Aujourd’hui, je vis avec ce souvenir dans ma tête et je suis avec ma fille. J’avais la volonté d’aller à la justice mais faute des moyens, je reste calme jusqu’à aujourdhui, et à chaque fois que je me souviens de ce qui s’était passé ce jour-là, je me sens vraiment mal car les personnes qui m’avaient violé sont restées impunies », poursuit Bulangalire sous un ton alarmant.

L’un des responsable de l’organisation « Bazire Rhucilweko » qui encadre et accompagne les survivantes des violences sexuelles dans le groupement de Kaniola afin que ces dernières accèdent à la justice, indique que son organisation fait face à plusieurs défis, en l’occurrence le manque des moyens financiers et des partenaires financiers pour porter plus haut les voix de la femme et des jeunes filles et surtout celles des survivantes des violences sexuelles. Il pense que le vote de la loi exemptant les survivantes des violences sexuelles et témoins des frais de justice, aura un impact positif et permettra à ces dernières d’accéder facilement à la justice et à la réparation, mais aussi et surtout elle contribuera dans la lutte contre l’impunité des cas des violences sexuelles commis à Kaniola et dans d’autres zones en conflits.

« Nous avons créé notre organisation depuis 2016, nous intervenons dans l’accompagnement judiciaire des survivantes des violences sexuelles, et en ces jours, nous accompagnons plus de 200 survivantes des violences sexuelles du groupement de Kaniola grâce à l’appui de la fondation Panzi afin qu’elles recouvrent justice. Mais nous n’avons pas les moyens suffisants pour accompagner toutes les survivantes dans les procédures judiciaires, car nous n’avons pas beaucoup de partenaires qui nous appuient dans ce sens. Nous nous sommes rendu compte que plusieurs survivantes des violences sexuelles n’arrivent pas à dénoncer leurs bourreaux à cause du manque des moyens, c’est pourquoi nous pensons qu’une fois votée, cette loi sur l’exemption des frais de justice aux survivantes et témoins des violences sexuelles, permettra aux survivantes d’accéder facilement à la justice et pour d’autres, à dénoncer leurs violeurs pour qu’ils soient punis conformément à la loi », Estime l’un des responsables de l’organisation « Bazire Rhucilweko » qui a requis l’anonymat.

Ce dernier indique que les frais de justice constituent une seconde peine pour les survivantes des violences sexuelles. Ceci avant de plaider pour que les survivantes des violences sexuelles soient exemptées de tout frais à la justice.

Cette idée est partagée par Maitre Lucien Buhendwa avocat au barreau de Bukavu, qui salue la proposition de loi exemptant les survivantes et témoins des violences sexuelles et fait savoir que si celle-ci est votée et promulguée, permettra l’applicabilité d’autres dispositions juridiques qui promeuvent les droits des femmes et particulièrement des survivantes des violences sexuelles. Il évoque la loi de 2006 sur les violences sexuelles qui incriminent les VSBG. D’où selon Me. Lucien Buhendwa l’avantage et la nécessité de voter la loi exemptant les survivantes des frais à la justice pour qu’elles accèdent à la justice et soient punies les auteurs des abus sexuels pour barrer la route à l’impunité.

« Depuis un temps, il s’observe des cas des violences sexuelles dans plusieurs coins de la province du Sud-Kivu en proie des groupes armés et les auteurs restent sans aucune inquiétude pourtant notre pays la RDC a tout un arsenal des lois et instruments juridiques nationaux et internationaux qu’il a ratifié. N’étant d’application effective, nous pensons que la proposition de loi allant dans le sens d’exempter les femmes violées des frais à la justice paraît plus salutaire et une fois votée, il faudrait que la commission ayant pour mission parlementaire chargé de suivi d’application des lois votées soit mis en contribution pour qu’elle nous souffre pas de l’inapplicabilité. La plupart des femmes victimes d’abus sexuels vivent dans des périphéries et n’ont pas des moyens, c’est pourquoi cette proposition de loi mérite l’accompagnement et le soutien de tous les parlementaires vu son caractère salutaire, afin de promouvoir les droits des femmes congolaises et Sud-Kivutiennes en particulier », a-t-il martelé.

En rappel, une proposition de loi pour l’exemption des frais de justice aux survivantes des violences sexuelles a été déposée à l’Assemblée nationale le 28 janvier 2022. Une loi initiée par les organisations de la Société civile qui militent pour les droits des femmes et filles endossée par le député national Juvénal Munubo élu de Walikale. Plus d’un analyste pense que le vote et la promulgation de cette loi, apportera la solution dans la lutte contre l’impunité et l’accès des survivantes des violences sexuelles à la justice vu que cette proposition de loi figure déjà dans le calendrier de la session de mars à l’Assemblée nationale.

Moïse Aganze, JDH

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