RDC : L’article 360 du code numérique risque de restreindre la liberté d’expression sur les réseaux sociaux

Le 13 avril 2023, le président de la République, Felix Tshisekedi, a promulgué le code numérique de la République démocratique du Congo, un nouvel instrument juridique qui régule désormais le secteur du numérique.

Ce code, en effet, présente de nombreux avantages. Il permet notamment de ” réguler la nouvelle économie numérique, protéger la vie privée, sécuriser les transactions, dématérialisation de l’administration, comprendre les grands lignes du code du numérique “, souligne Patrick Muyaya, ministre de la Communication et médias de la RDC. Mais son article 360 soulève des inquiétudes surtout dans le rang des journalistes, défenseurs des droits humains, acteurs de la société civile et opposants du régime. Celui-ci stipule que “ quiconque initie ou relaie une fausse information contre une personne par le biais des réseaux sociaux, des systèmes informatiques, des réseaux de communication électronique ou toute autre forme de support électronique est puni d’une servitude pénale d’un à six mois et d’une amende de cinq cent mille à un million de francs congolais “.

Patrick Muyaya sur Twitter : “#RDC : Réguler la nouvelle économie numérique, protéger la vie privée, sécuriser les transactions, dématérialisation de l’administration, comprendre les grands lignes du code du numérique. #BriefingSpecial avec le ministre du numérique @kolongele #ChangementDeNarratif 🇨🇩🇨🇩 https://t.co/pQGOXqiYSE” / Twitter

Méfiance à la veille des élections

La grande crainte, à la veille du scrutin électoral prévu en décembre 2023, est le musèlement des voix discordantes sur les réseaux sociaux en se servant de cet article du code. C’est ce que craignent les organisations prodémocratie en République démocratique du Congo.

Bientôt le pays, qui s’est déjà engagé dans le processus électoral, va passer à la période de la campagne. Certains, attirés par le besoin de pouvoir coûte que coûte gagner, risquent de donner des coups, sans mettre de gants. Des gens qui vont être tentés par le démon de la diabolisation des autres, et cela même à travers les réseaux sociaux. C’est l’occasion de se souvenir qu’il y a des limites qui sont posées “, a prévenu Désiré-Cashmir Eberande, le ministre du Numérique de la République démocratique du Congo à la présentation du code numérique le 13 avril dernier

En période électorale en République démocratique du Congo, les autorités utilisent, en effet, tous les moyens pour faire taire l’opposition ou toute autre voix discordante en vue de garantir leur maintien au pouvoir. Au cours des élections de 2011 et 2016, les autorités, en plus de censurer les contenus des réseaux sociaux, ont fini par couper tout cours le réseau internet sur toute l’étendue du pays.  Toute information ou analyse contradictoire à la version du gouvernement étant qualifiée de « désinformation » par le pouvoir. Ainsi, dénoncer les bourrages d’urnes ou autres dérives enregistrées était passible de répression.  “ Cela a fortement enfreint au principe de la liberté d’expression et de l’information par le canal des réseaux sociaux “, estime Sandra Bashengezi, directrice de l’Ecole technique de journalisme, ETJ. “ Cela ne veut pas dire qu’il n’y pas des déviations ou de la désinformation. Mais il y a une forte tendance à faire taire les opposants et cette nouvelle loi est une panacée pour le pouvoir”, indique-elle.

Jusqu’ici, la justice se referait au code pénal et ne reconnaissaient pas formellement le numérique comme une preuve en droit. Le nouveau code vient ainsi de changer la donne. “Ce qui implique que désormais ce qui est publié sur les réseaux sociaux a la même valeur probante que l’écrit à la main “, précise Me Justin Bahirwe, coordonnateur de l’ONG SOS information justice multisectoriel. La peine aussi se précise pour les auteurs des publications. “ Un à six mois de prison ferme et une amende “, indique Me Bahirwe.

Pour faire respecter ce nouveau code, les autorités nationales ont prévenues qu’elles mettront de la rigueur pour assainir l’espace numérique.  “L’insulte, la diffamation, la calomnie, le relais des fausses informations sur le net, le harcèlement par le biais d’une communication électronique, l’enregistrement des images relatives à la commission des infractions, la diffusion du contenu tribaliste, raciste et xénophobe, etc. sont des actes dont les conséquences sont réelles sur le plan de la rigueur de la loi “, insiste le ministre Eberande.“Tu ne peux plus te permettre d’insulter le président de la République en créant des histoires sur les réseaux sociaux. Ou insulter notre armée, ou les institutions. Nous allons désormais sanctionner toutes ces déviations “, martèle de son côté Christian Bosembe, président du Conseil supérieur de l’audiovisuel et de la communication, CSAC.

Ce qui fait redouter les organisations pro-démocratie des conséquences que celle-ci pourrait avoir sur la liberté d’expression en RDC.

En effet, depuis le début de son quinquennat, le président Tshisekedi et ses partisans se montrent de moins en moins tolérant face à la critique et la contradiction. En août 2022, le président a même promis la prison à tous ses opposants qui racontent des mensonges sur lui et sa famille. ” Si tu veux mentir que le Président est voleur, c’est grave comme accusation, il faut prouver tout ça devant la justice ” avait-il prévenu lors de sa visite à Ndjamena. 

Inquiétude de la société civile et l’opposition

Etait-il opportun d’adopter un code numérique en RDC ? Oui, répond Nicolas Mbiya, activiste au sein du mouvement social Lutte pour le changement, « Lucha ». “ Il était temps qu’on puisse règlementer l’usage des réseaux sociaux en République démocratique du Congo. Il y a eu beaucoup de déviation, des discours de haine, les injures, la propagation de fausses informations sur les plates-formes numériques. Mais lorsqu’on saisissait la justice cela ne constituait pas des preuves suffisantes pour obtenir des condamnations “ souligne-t-il. ” Avec le numérique, tout le monde est devenu producteur de l’information. Les non journalistes peuvent relayer les informations parfois des fakenews “, ajoute John Kajunga, chercheur en sciences de l’information et de la communication.

Mais vu le contexte dans lequel le code numérique a été adopté, Nicolas Mbiya semble septique quant aux intentions cachées. « Ce code n’a pas fait l’objet d’un débat au sein du parlement qui est la représentation du peuple. On se pose des questions parce que c’est une nouvelle matière qui devait requérir un large consensus de la population représentée au parlement », note-t-il. “ Il fallait aussi que la société civile qui travaille sur les questions de libertés publiques puisse être associée de manière large pour permettre à ce qu’il y ait des avis qui vont amener cette loi à ne pas être une taillée sur mesure et ne pas créer de controverses “, ajoute Mbiya.

Il estime que la manière dont certaines dispositions ont été formulée peut pousser à ce que cela soit “ utilisé contre les voix dissidentes et restreindre la liberté d’expression surtout à travers les réseaux sociaux “.

” A la veille des élections, cette menace doit être prises au sérieux “, prévient Christopher Safari cadre de l’opposition. “ Le problème se trouve surtout dans l’impunité et la sélectivité dans l’application de cette loi “, note-t-il.

” Il est clair que les partisans du pouvoir utilisent des fakenews pour discréditer les opposants ou la société civile. Mais personne ne sera surement poursuivi. Le problème c’est quand une information, une analyse ou une critique vient de l’opposition on crie à la haine, à la désinformation ou à l’insulte. Comment peut-ont faire tourner une démocratie sans critique ? “ s’interroge Safari.

“Le même problème se pose aussi pour le secteur de la presse, surtout la presse en ligne”, ajoute Natasha Balegamire, directrice du groupe de presse Jambo FM. Pour elle, des informations acquises par des sources anonymes risquent désormais d’être réprimées comme une fausse information.  Les détournements, les abus de pouvoir, les atteintes à la démocratie et aux droits humains sont généralement dénoncées par des sources anonymes.   Pourtant, insiste Eberande, le ministre du numérique, « dorénavant on mettra l’initiateur de l’information devant ses responsabilités. Il reviendra à la personne ou au journaliste de prouver que les faits révélés dans sa publication sont vraies.  Si vous avez la preuve, vous n’allez pas vous cacher en ce moment-là derrière la source de votre information. On vous a posé la question de la preuve et non de la source », martèle-t-il.

Une déclaration inquiétante de l’avis de plusieurs acteurs. C’est la cas d’Ernest Muhero, journaliste d’investigation et responsable du Réseau des journalistes amis de l’enfant, RJAE. “La vérité journalistique est fruit parfois de recoupement  dont le secret n’est partagé qu’avec le rédacteur en chef au nom du principe que le journaliste doit protéger ses sources”, observe-t-il. ” Suffira-t-il d’un moindre élément qui gène quelqu’un, pour qu’il brandisse ce qu’il qualifie de mensonge pour obliger le journaliste à démontrer au tribunal  des preuves?” s’interroge  Muhero indiquant que ce processus fragilise le journaliste car pour “prouver il devra citer sa source ou être châtié selon cette disposition”.

Me Frédéric Masudi, membre de la société civile est aussi du même avis. ” Si un projet est lancé par le gouvernement, les fonds sont décaissés mais rien n’est fait sur le terrain 10 mois plus tard. Entre temps voit les animateurs du projet se payer de nouvelles villas et voitures de luxes. Si je dénonce le détournement, ce que risquerais désormais d’être arrêté et poursuivi pour fausses informations ? Et, c’est à moi qu’il incombera la preuve de ce détournement? “, S’interroge-t-il. “ Je pense que cette loi veut imposer des limites par rapport au travail des journalistes, de la société civile et des défenseurs des droits humains mais aussi des opposants au régime. Le but est de museler les voix discordantes. Mais nous n’allons pas céder… “, Insiste Masudi.

“A mon avis, cette disposition méritait d’avoir un deuxième alinéa où l’on spécifie que si c’est le journaliste qui publie une information dans l’exercice de sa profession, voilà ce qu’il faut”, conclut Ernest Muhero.

Il est clair que si la loi sur le numérique, spécialement l’article 360, vient de lancer un grand débat en République démocratique du Congo sur la démocratie et la liberté d’expression à travers le secteur numérique. Une situation qui risque de prendre de l’ampleur surtout durant le processus électoral prévue en décembre 2023.

Prince Murhula

This research on digital surveillance was supported by the Media Policy & Democracy Project (MPDP), jointly run by the University of Johannesburg and Unisa.

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