RDC : De plus en plus des autorités durcissent la surveillance des réseaux sociaux

La République démocratique du Congo se dirige vers le nouveau cycle électoral qui doit se tenir, selon la Constitution, avant la fin de l’année 2023. Pendant ce temps, les critiques deviennent de plus en plus croissantes contre le régime au pouvoir surtout par l’utilisation des des réseaux sociaux. Des autorités et leurs partisans deviennent ainsi de plus en plus menaçants face aux voix discordantes.

Après quatre ans de règne, le régime du président Tshisekedi peine à matérialiser laplupart de ses promesses visant entre autre à lutter contre la corruption, accroitre le niveau de vie des populations et à sécuriser la partie orientale du pays en proie aux groupes armées et rebellions.

Ce qui pousse les lanceurs d’alertes, journalistes, défenseurs des droits humains, opposants politiques aux critiques et dénonciations. La mauvaise gestion, l’inflation, les détournements, les abus de pouvoir sont ainsi scrutés quotidiennement par des internautes à travers différents réseaux sociaux.

 « Les réseaux sociaux ont ouvert un canal majeur qui permet aux populations de discuter ouvertement des problèmes liés à leurs droits et à la démocratie. L’espace est tellement et accessible à moindre coût que cela effraie parfois certaines autorités », reconnait aussi le professeur Trésor Maheshe, directeur du centre de recherche spécialisé en droits de l’homme, CERDHO.

« Au regard du passé récent de la RDC, le risque de répressions est bel et bien là. Dans le cadre de la course au pouvoir, les acteurs vont s’impliquer dans le contrôle de ces moyens de communication de masse. Cela va justifier plusieurs abus parmi lesquels la fermeture des réseaux et l’emprisonnement pour museler l’opposition », note le professeur Trésor Maheshe. Une situation qui, malheureusement prend de plus en plus d’ampleur.

Usagers des réseaux sociaux de plus en plus menacés

Face à la tension croissante à la veille des élections, en République démocratique du Congo, l’environnement numérique expose de plus en plus les utilisateurs. C’est le cas des réseaux sociaux qui sont de plus en plus surveillés par les autorités du régime. WatsApp, Facebook, Youtube, …, aucun réseau n’est épargné.

Le 5 février 2022, par exemple, François Beya, le conseiller en charge de la sécurité du président Felix Tshisekedi a été arrêté à Kinshasa. La justice lui reprochait entre autres d’offense au chef de l’Etat après avoir intercepté un message échangé sur watsapp avec un de ses collègues où il aurait traité le président de la République de « bourrique », de « joufflu » qui « n’aime que manger le foufou ».

« L’ex-conseiller aurait aussi caché au président certains messages de son secrétaire particulier Guy Vanda qui sur, WhatsApp, aurait assimilé le pouvoir à un « régime de parvenus », a révélé le journal Jeune Afrique.

Ce qui va lui couter à la fois son poste et conduire à son arrestation sous des accusations fortes d’offense au chef de l’Etat et tentative d’atteinte contre le Président de la République.

Sur Youtube, quelques jours plus tôt, à Beni, au Nord Kivu, l’artiste musicien Idengo Delcato venait de publier sur sa chanson « Politicien escroc » pour dénoncer la démagogie du régime. Il a été arrêté puis incarcéré à la prison de Beni avant d’être condamné à 10 ans par le Tribunal militaire de garnison.

Entre temps, à Kinshasa, le 4 mai, c’est un avis de recherche qui est émis par le parquet de Matete contre le journaliste Pierrot Luwara pour avoir critiqué le président de la république dans une émission diffusée sur sa chaine Youtube. Le journaliste est, depuis, contraint à l’exil.

D’autres cas sont enregistrés et qui conduisent soit à des arrestations, à des menaces de mort ou d’emprisonnement et aux harcèlements. Des attaques qui viennent soit directement des autorités ou des militants membres du parti ou du regroupement présidentiel.  « Les principales cibles sont les journalistes, les opposants politiques, les activistes de la société civile et défenseurs des droits humains », confie Me Justin Bahirwe, coordinateur de l’ONG SOS IJM-Information justice multisectoriel.

Ainsi, le 24 novembre, le porte-parole de l’opposition dans la province de l’Ituri, Luc Malembe, a été arrêté à Bunia. Il a été inculpé de propagation de « fausses informations », après avoir diffusé sur les réseaux sociaux une publication dans laquelle il critiquait l’état de siège, regime militaire instauré pour anéantir les groupes armés dans la région, comme étant un échec.

De même, suite à une vidéo devenue virale sur les réseaux sociaux, « Maman Marie »une militante de l’opposition de 69 ans a été arrêté  sur ordre de la présidence pour ses vidéos critiques vis-à-vis du pouvoir.

La société civile inquiète

Depuis leur avènement dans l’espace numérique congolais, la parole a été démocratisée et ouvert des canaux fiables de communication brisant la distance entre populations et décideurs. Ainsi, la critique de la mauvaise gestion ainsi que le manque de sérieux dans la prise en compte des revendications populaires  par le gouvernement dérange.

Nombreux activistes sont ainsi poursuivis pour propagation des fausses informations, diffamation, imputation dommageables, offense au chef de l’Etat, pour leurs critiques sur la gestion du régime ce qui les soumet aux sanctions du code pénal.

Que ça soit des publications effectuées en privée ou en public, les services d’intelligences traquent de plus en plus les utilisateurs. « Si le propre conseiller du chef de l’Etat peut être traqué et arrêté pour un message partagé par le canal d’un réseau social, la situation risque de devenir encore plus critique vis-à-vis des simples citoyens qui, par milliers, échangent au quotidien en privé ou à travers des groupes sociaux »,  craint Me Pascal Mupenda, directeur des programmes de l’ONG Partenariat pour la protection intégrée.

Depuis début 2022, plusieurs cas de menaces contre des journalistes, opposants et activistes ont été enregistrés de la part des autorités publiques ou des membres de leurs partis politiques précise l’ONG. « Les journalistes Steve Wembi, Stanislas Bujakera et John Lungila  ont reçu plusieurs menaces de la part des militants de l’UDPS (parti au pouvoir) en juin et juillet sur les réseaux sociaux les accusant de collaborer avec le M23. Ceci après que les journalistes aient fait des tweets dans lesquels ils informent la population de la situation sécuritaire à l’Est », précise Me Mupenda.

En plus de la violation de la liberté d’expression et de l’information, Me Blaise Bulonza, coordinateur de l’ONG Initiative pour l’avenir meilleur, INAM, craint aussi pour la violation de la vie privée des congolais par les services de sécurité. « L’article 31 de la Constitution garantie pourtant le droit au respect de la vie privée et au secret de la correspondance », remarque Me Blaise Bulonza, « Si le gouvernement se met à fouiller les messages échangés par les citoyens par le canal des réseaux sociaux cela va constituer une violation flagrante des droits humains. Le gouvernement ne doit laisser aux citoyens jouir de leurs droits et libertés».

Une crainte aussi justifiée d’autant plus qu’il y a quelques années, à la veille des élections de 2018, les services de renseignement traquaient et arrêtaient des détenteurs des images et messages contre le pouvoir en fouillant leurs téléphones et en scrutant leurs communications.

 « Les réseaux sociaux nous ont été très utile dans le combat contre les dérives dictatoriales. Leur restriction porterait un coup dur contre la démocratie», reconnait Judith Maroy, membre du mouvement social Lucha (lutte pour le changement).

Et c’est cette liberté d’expression qui dérange souvent les décideurs. « C’est pour nous une inquiétude de voir que les méthodes employées par le régime de Kabila soient utilisés pendant le mandat de Tshisekedi », dit Maroy.

La sortie médiatique du président Félix Tshisekedi du 14 août 2022 a renforcé davantage la crainte des dérives au sein de la communauté des défenseurs des droits humains en RDC. Répondant aux voix critiques face à sa gestion du pays celui-ci a promis la prison. « Si la prison va se remplir avec des gens qui propagent les mensonges, elle va se remplir… Si tu veux mentir que le Président est voleur, c’est grave comme accusation, il faut prouver tout ça devant la justice », a martelé Felix Tshisekedi. Une mise en garde inquiétante pour les lanceurs d’alertes, activistes des droits humains et opposants dont les critiques face au régime deviennent de plus en plus croissantes sur les réseaux sociaux.

Soulignons que l’article 23 de la constitution de la RDC affirme que : « toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit implique la liberté d’exprimer ses opinions ou ses convictions, notamment par la parole, l’écrit et l’image, sous réserve du respect de la loi, de l’ordre public et des bonnes mœurs».

 

Prince Murhula

This research on digital surveillance was supported by the Media Policy & Democracy Project (MPDP), jointly run by the University of Johannesburg and Unisa.

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