Bukavu : Les stéréotypes, un des blocages de la promotion de la femme dans la gestion des médias

Des femmes journalistes de Bukavu accèdent difficilement aux postes de prise des décisions dans leurs organes de presse respectifs. Très souvent, elles sont confrontées à des stéréotypes qui bloquent leur promotion et les empêchent d’arriver aux postes de directions de leurs médias. Ceci serait dû au fait que la plupart des Journalistes hommes ne croient presque pas aux compétences des femmes, ce qui génère des conflits de leadership au détriment de la femme. Les témoignages recueillis dans le cadre de notre article l’attestent. 

Sur les 34 radios que compte la ville de Bukavu, selon une enquête que nous avons réalisées, seules 6 radios sont dirigées par des femmes soit un taux de 2,04%. Et cela ne concerne uniquement que les radios sans compter les chaînes de télévisions et médias en ligne. Ce qui montre à suffisance que les femmes sont faiblement représentées à la direction des médias malgré leurs présences au sein des postes les plus bas, comme journalistes reporters.

ETJ, Ecole Technique des Journalistes pour la formation des journalistes

« J’ai plusieurs fois été victime des stéréotypes. C’est quand les collègues hommes avec qui on travaille pensent que l’on  ne peut pas être capable de faire quelque chose tout simplement parce qu’on est femme alors que, l’on fait peut être mieux qu’eux. Là vous vous rendez compte qu’avec la façon de montrer que une femme est incapable, ça montre qu’il y a des blocages pour la femme journaliste au sein de plusieurs organes de presse où les compétences des femmes sont minimisés tout simplement parce qu’elles sont femmes», témoigne une femme journaliste dans un media de Bukavu.

Elle se dit n’avoir pas baissé les bras malgré la situation qu’elle a traversée. Elle s’est formée dans plusieurs secteurs qui ont fait d’elle compétitive jusqu’à ce jour.

« Pour relever le défis j’ai  continué à travailler fort. Je me suis formée dans plusieurs choses à la fois. L’écriture des articles, le filmage, le montage vidéo. Je me suis même distinguée dans la recherche des abonnés et des publi-reportages et je suis devenue incontournable. Comme femme journaliste, je travaille dure. J’essaye de m’améliorer tous les jours. Je me forme aussi pour être compétitive au même titre que les hommes », précise-t-elle.

Une autre femme journaliste, ancienne directrice d’une radio de la place, renseigne que, pour elle, ce n’était pas facile de surmonter les stéréotypes dont elle a été victime pendant qu’elle dirigeait ladite radio. Elle reconnait qu’il y a eu certains de ses collègues hommes qui ont décidé de démissionner parce qu’ils ne voulaient pas seulement être dirigés par une femme, et d’autres ont jugé bon d’accepter, malgré eux, et qui, malheureusement, ont comploté contre elle l’obligeant ainsi de démissionner de son poste.

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Quand on demandait à ceux qui sont partis ce qu’ils me reprochent sur le plan professionnel, aucune réponse. Nous ne voulons pas d’une femme à la tête de la radio. C’est tout ! », conclut-elle.

L’Association des femmes des médias, AFEM, une structure des femmes journalistes œuvrant pour la promotion du genre et la défense des droits des femmes au Nord et Sud Kivu, mène plusieurs actions de plaidoyers en vue de promouvoir le genre dans les médias. Toutes ces actions impliquent les responsables des médias, les autorités locales ainsi que diverses structures des journalistes pour l’application effective du genre dans les médias et hisser la femme à des instances décisionnelles.

« Les résultats des études menées par AFEM sur le Genre et les médias dans le souci de répondre au besoin de l’intégration du genre dans les médias ont produit deux effets majeurs : l’élaboration de la Charte portant intégration du genre dans les médias, un outil pertinent.  Etant une première dans le paysage médiatique, ladite Charte est un instrument pertinent pour compléter le cadre réglementaire des médias. La philosophie de la Charte est de promouvoir une culture positive d’égalité des genres dans les médias et d’ériger la sensibilité au genre en norme de qualité d’une information et d’une communication. La création de la radio thématique et sensible au genre « MAMA RADIO », peut-on lire dans la feuille de route de la mise en œuvre de la charte portant intégration du genre dans les médias, rendu par AFEM au mois de mai dernier.

Janvier Museme, coordonnateur du Conseil supérieur de l’audiovisuel et de la communication, CSAC, reconnait l’existence des stéréotypes à l’égard de la femme dans les médias à Bukavu. Il affirme que son organe, une institution d’appui à la démocratie de régulation des médias, s’investit dans la promotion du genre et la représentativité de la femme dans les médias.

«Nous avons encouragé tous les médias à intégrer les femmes parmi les personnes  invitées à des émissions de débat politique (…) Et aujourd’hui nous insistons encore auprès de notre administration centrale soit le bureau d’avoir une femme comme l’une de deux proches collaborateurs du Coordonnateur provincial du CSAC », renseigne Janvier Museme.

Des femmes journalistes à l’œuvre

Pour tenter de contourner les stéréotypes, Joëlle Bufole, Journaliste à Mama Radio recommande aux femmes journalistes de travailler dur, de se documenter sur toutes les questions relatives au journalisme et d’approcher les personnes qui ont beaucoup plus d’expérience dans ce secteur pour qu’elles puissent se développer d’avantage.

Tout en reconnaissant les obstacles auxquels elle a fait face avant d’accéder à son poste.

Judith ASINA, Directrice de la Radio Svein, un média communautaire qui émet à partir de la ville de Bukavu recommande aux femmes journalistes de savoir les stratégies à appliquer pour surmonter les stéréotypes en respectant le code d’éthique et de déontologie du journaliste ainsi que la ligne éditoriale de leurs médias respectifs.

« A la radio Svein ce n’était pas facile de me faire accepter moi-même comme Directrice. Etant donné que je suis descendue comme une parvenue, je viens de Kinshasa et du coup je deviens directrice. Donc la femme pour se faire accepter, doit avoir des capacités, doit travailler pour se confirmer. Et moi, à la radio Svein, je fais une sorte de discrimination positive. Il n’y a pas beaucoup de femmes à la radio mais j’accorde assez d’importance à ces femmes là pour qu’elles se sentent capables de faire quelque chose. Et je veux dire ici que chaque fois que j’ai responsabilisé les femmes, elles apportent le meilleur d’elles-mêmes », explique-t-elle.

Elle reste déterminée à briser les stéréotypes en confiant plus de responsabilités à ses collègues femmes afin de leur permettre de donner le meilleur d’elles-mêmes, bien que les hommes ne soient pas généralement très d’accord.

 « Quand ils arrivent à voir le travail qui est fait sur terrain par les femmes journalistes, malgré eux, ils acceptent », renseigne-t-elle.

Elle recommande aux femmes de ne pas se laisser faire parce qu’elles ne sont pas acceptés mais elles doivent se battre; « c’est déjà une lutte pour atteindre nos objectifs qui est l’égalité dans le genre sinon on ne va jamais y arriver », conclut-elle.

Abordant le cadre légale de ce sujet, Maître Justin Bahige, avocat près la cour d’appel de Bukavu, renseigne que les stéréotypes ne sont pas considérés comme des infractions en droit congolais.  D’autant plus qu’il s’agit d’idées fausses ou arrières pensées que certaines personnes peuvent avoir ou se faire sur d’autres dans la communauté.

Toutefois, les seules infractions reconnues dans ce dernier sont les injures, imputations calomnieuses qui sont définies conformément à l’article 75 du code pénal livre II comme « toute qualification méchante de nature à porter atteinte à l’honneur d’une personne ou à exposer cette personne au mépris public ». L’injure publique est punissable de 8 jours à 2 mois de servitude pénale et/ou d’une amende.

Cet article a été produit en collaboration avec Journalistes pour les droits humains, JDH/JHR avec l’appui d’Affaires mondiales Canada

Sandra Bashengezi

 

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