Bukavu : Des femmes de ménages victimes du harcèlement sexuel décrient leur calvaire

Les cas de harcèlement sexuel dans la ville de Bukavu en province du Sud-Kivu n’ont pas encore dit leur dernier mot. Plusieurs femmes de ménages communément appelées “domestiques”, sont victimes du harcèlement sexuel par leurs patrons qui usent de leur autorité pour arriver à leurs fins. Certaines ont peur de dénoncer pour ne pas perdre leur travail.

Faida a 17 ans quand elle trouve du travail de domestique dans une maison à Bukavu dans la province du Sud-Kivu, à l’Est de la République démocratique du Congo. Nous sommes en 2014.

« J’ai été embauchée par la femme du patron. Je ne connaissais pas son mari car il était en voyage. Quelques mois plus tard, il est retourné à Bukavu », se rappelle-t-elle.

Venue directement du village et issue d’une famille pauvre,  Faida n’a pas d’autres ressources que son métier pour prendre soin de son bébé qu’elle vient d’avoir à peine une année. Son jeune âge, sa situation de fille-mère  la rendent encore plus vulnérable face à son patron chez qui elle vit désormais et qui veut profiter d’elle.

« A son arrivée, la première chose qu’il m’a dite est  que je suis belle et qu’il va m’aider à nourrir mon enfant. Je ne savais pas que c’était pour lui, une façon de nuire à ma dignité », raconte-t-elle. Et cela n’a pas tardé, confie Faida.

« Un jour mon patron m’a demandé de venir dans sa chambre pour coucher avec lui en l’absence de sa femme. J’avais accepté car je n’avais pas de choix et je craignais perdre mon travail ». Mais les choses vont finir par mal tourner pour elle au prix de perdre son emploi.

« Un jour quand sa femme était déjà partie au marché où elle passait habituellement ses journées à vendre des marchandises, cet homme avait abusé de moi encore dans sa chambre. Mais cette fois-ci madame à son retour nous avait surprise. Pendant que son mari, lui, s’était déjà caché, elle avait commencé à tonner fortement sur moi car j’étais dans sa chambre.  Elle m’avait frappé jusqu’au point de me renvoyer de mon travail qui était pour moi le seul moyen qui m’aider à prendre en charge mon enfant », raconte Faïda, larmes aux yeux.

Mais face aux menaces et son bourreau, elle n’a pas eu le courage de dénoncer.

« J’avais peur de dénoncer mon patron car il m’avait déjà prévenu que si je le faisais, il n’hésiterait pas de me tuer. C’est pourquoi j’ai gardé silence pourtant cette situation me faisait tellement mal et c’est le cas même aujourd’hui quand j’y pense », poursuit Faida.

Dénoncer le harcèlement

La situation vécue par Faida n’est pas pourtant isolée dans la province du Sud Kivu. Pour Solange Lwashiga, responsable de l’organisation Caucus des femmes du Sud-Kivu, plusieurs dizaines de femmes des ménages sont concernées par le harcèlement sexuel dans leurs milieux de travail.  Cela est surtout occasionné, selon elle, par un manque d’informations auprès des survivantes.

« Il s’observe aussi un problème d’ignorance qui fait que ces femmes victimes gardent silence, ne sachant pas où s’orienter, qui peut les aider et comment dénoncer leurs bourreaux tout en jouissant de leur droit de protection garantie par la loi du pays »,  estime-t-elle.

« Qu’il s’agisse de la femme domestique adulte ou mineure, on constate qu’il y a souvent un silence total dans le chef des victimes de harcèlement sexuel. Il s’observe aussi un problème d’ignorance qui fait que les survivantes gardent silence, ne sachant pas où s’orienter, qui peut les aider et comment dénoncer leurs bourreaux tout en jouissant de leur droit de protection garantie par la loi du pays », déclare Solange Lwashiga.

« Il est important que des sensibilisations et vulgarisations sur les  droits de la femme soient faites pour qu’elles comprennent que le traitement qu’elles subissent est illégal et condamnable par la loi. Ceci pour les conscientiser, les amener à briser le silence et dénoncer leurs bourreaux aux instances judiciaires compétentes », renchérit Solange Lwashiga.

Maitre Zozo Sakali avocat au barreau de Bukavu, pense aussi que les autorités devraient appliquer la loi pour décourager les auteurs d’harcèlements sexuels.

« Pour permettre aux femmes de ménages harcelées d’exercer en toute quiétude la jouissance de leurs droits, la justice congolaise devrait trouver des mécanismes de remédier à cette situation, car la loi tranche déjà le sort des auteurs des cas des violences sexuelles », explique-il.

Selon la loi sur les violences sexuelles, les auteurs d’harcèlement sexuel sont passibles d’une peine pouvant aller à 12 ans de prison.

« Quiconque aura adopté un comportement persistant envers autrui, se traduisant par des paroles, des gestes soit en lui donnant des ordres ou en proférant des menaces, ou en imposant des contraintes, soit en exerçant des pressions graves, soit en abusant de l’autorité que lui confère ses fonctions en vue d’obtenir de lui des faveurs de nature sexuelle, sera puni de servitude pénale de un à douze ans et d’une amende de cinquante mille à cent mille Francs congolais », indique l’article 174d de la loi.

Mais, précise son deuxième alinéa, «les poursuites seront subordonnées à la plainte de la victime ».

Ce qui pousse Douce Namwezi, directrice de Uwezo Afrika, une organisation de promotion des droits de la femme, à inviter le gouvernement à s’approprier la lutte contre toutes les violences sexuelles dont le harcèlement.

« Nous appelons les autorités publiques et locales à s’imprégner davantage de cette situation à travers la mise en place d’une bonne gouvernance de proximité en vue de barrer la route à cette forme des violences sexuelles et basées sur le genre dans leurs juridictions », insiste Namwezi.

En réaction, le ministre provincial du genre, famille et enfants en province du Sud-Kivu, Cosmos Bishisha Kusimwa, indique que la question du harcèlement sexuel commis sur les femmes de ménages reste une préoccupation au niveau du gouvernement provincial. Néanmoins, il demande aux survivantes de briser la peur et collaborer avec les autorités en dénonçant tout cas suspect entraînant le harcèlement sexuel.

« Nous continuons à suggérer à toutes les victimes des violences sexuelles de venir dénoncer à nos services techniques ou même ici à notre ministère pour donner de la matière aux personnes attitrés pour qu’elles aussi à leur tour puissent enquêter sur l’affaire. Pour l’instant, le ministère est prêt dès qu’il a des dénonciations, de mettre la machine en marche pour que les victimes soient rétablies dans leurs droits et pour que les bourreaux soient suffisamment punis et servir d’exemple aux autres. Nous rassurons la protection aux victimes et une certaine confidentialité et l’écoute », recommande le ministre provincial du genre au Sud-Kivu.

Moïse Aganze

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