Sud-Kivu: Obligée de parcourir des distances pour puiser de l’eau, des femmes se voient exposées aux viols

Malgré le fait que l’accès à l’eau potable est un droit garanti par les lois du pays mais, il s’observe un problème d’accès à cette denrée vitale dans certains coins de la province du Sud-Kivu. C’est notamment dans le territoire de kabare. Dans cette partie de la RDC, des femmes et jeunes filles à la recherche de l’eau potable sont souvent victimes des viols et autres formes de violences sexuelles et celles basées sur le genre.

Certaines survivantes rencontrées à Kabare renseignent que pour s’approvisionner en eau potable elles effectuent des longs trajets. Parfois elles sont obligées de traverser le lac par pirogue sur l’autre rive avec tous les risques possibles. Elles citent à titre d’exemple des violences sexuelles et celles basées sur le genre.

ETJ, Ecole Technique des Journalistes pour la formation des journalistes

Nsimika (nom d’emprunt) du groupement d’Ishungu en territoire de kabare âgée de 43 ans et mère d’autant d’enfants, révèle que pour s’approvisionner en eau potable, elle est obligée avec d’autres femmes de traverser par pirogue le lac Kivu vers le territoire D’idjwi.

« Je suis mère d’enfants. Souvent, chaque matin, je prends la pirogue avec mes voisines et nous traversons le lac Kivu à la recherche de l’eau potable à Idjwi (village situé à l’autre bord du lac, ndlr)”, Explique-t-elle.

A elle de poursuivre:

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“À chaque départ, je suis obligé de partir de mon groupement avec mes 3 à 5 bidons pour aller chercher de l’eau. Il y a beaucoup de risques sur le trajet à parcourir sur le lac”, alerte-t-elle”.

“En faisant souvent ces deplacements, les pecheurs qui nous facilitaient les deplacements commençaient à me faire la cour et parfois des harcelements oubliant que je suis une femme mariée », déplore t-elle.

Elle ajoute que son mari a fini par apprendre concernant des avances que subissait sa femme de la part des pecheurs. Sans faire des recherches pour en savoir plus, il a répudié du toit conjugal. Nsimika vit désormais chez ses parents avec 3 de ses enfants.

“Je suis devenu un sujet de moqueries par les membres de mon entourage. On me taxe aujourd’hui d’etre une femme prostituée. Tout cela car mon mari m’avait chassé m’accussant d’etre devenu la femme des pecheurs. Aujourd’hui je supporte des injures des membres de ma famille et des voisins, pourtant tout est faux”, révèle-t-elle.

Le cas de Nsimika n’est pas isolé, Kwanimusha (nom d’emprunt), du village de Kajeje dans un groupement non loin du Parc national de Kahuzi Biega, est âgée de 16 ans. Élève de son état dans une des écoles de sa communauté, elle s’est retrouvée enceinte par le fait de se réveiller chaque fois le matin pour aller à la recherche de l’eau potable. Cela à une distance de plus d’un kilomètre presque chaque matin, avant d’aller à l’école à une distance de plus de 4 kilomètres.

“Si aujourd’hui je me retrouve avec une grossesse, c’est parce que chaque matin je devais me réveiller très tôt le matin vers 5h30 pour aller puiser de l’eau à la source avant d’aller à l’école”, explique-t-elle.

“Pour tous les autres besoins de la maison, on utilise l’eau de la rivière Mpungwe. Un bon matin, je ne me souviens plus de la date, pendant que je portais mon bidon au dos, un homme que je n’avais jamais rencontré de ma vie m’a arrêté et m’a pris de force en m’amenant un peu à l’écart du chemin dans la brousse. J’étais seule, j’avais crié au secours mais comme c’est un endroit quasiment inhabité, j’ai fini par être affaiblie et il est parvenu à me violer », explique-t-elle avec angoisse.

Elle poursuit en disant qu’elle a eu peur de dire quoi que ce soit à ses parents à son retour. Elle est restée à la maison sans aller à l’école à la suite de douleurs. Se confiant à sa tante paternelle, celle-ci lui a apporté de médicaments pour alléger ses douleurs et lui a rassuré que tout allait bien se passer. Dans un entretien avec nous, elle nous a révélé que c’est après 2 mois qu’elle s’est rendu compte que ses règles mensuelles venaient de s’arrêter et que son ventre commençait à gonfler et qu’elle était enceinte.

À la question de savoir l’auteur de la grossesse et comment elle pense s’y prendre, elle dit n’avoir aucune idée et s’indigne du fait que les chances pour elle de poursuivre ses études sont quasiment limitées.

Une situation courante

Tabaro Muderhwa Léonidace president de la société civile du territoire de kabare, laisse entendre que plusieurs cas de viol sont enregistrés selon les groupements et villages, voire même de sous villages. Il affirme que ceux-ci ressortent des rapports enregistrés au cours des septs deniers mois de 2022 et que, outre les cas de viol, il y a eu aussi des étranglements d’enfants à la recherche de l’eau potable.

« Nous avons eu à enregistrer des cas des violences sexuelles des femmes et filles, lors qu’ils se rendent à la cherche de l’eau potable.Il y a eu des cas documentés des filles qui ont été obligées d’arrêter d’elles mêmes ou être chassé de l’école pour cause d’arriver en retard à l’école d’autant plus que pour la plupart de cas, ce sont des femmes et jeunes filles qui sont concernées par la recherche de l’eau. Cette situation a été observée dans les Groupements de de Bugorhe, mudaka, lugendo, ishungu, bushwira et à Nindja”, explique-t-il.

“Lorsqu’il faut effectuer un trajet de deux à trois kilomètres avant d’atteindre la source ou la borne fontaine, voyez vous ce que ça pose comme problèmes pour ces filles qui doivent aller à l’école par après», interpelle Léonidas.

Il renchérit en disant que; “Plusieurs femmes de ménages sont aussi victimes de violences conjugales de la part de leurs maris du simple fait de se réveiller tôt le matin à la recherche de l’eau potable et rentrer un peu tard. Selon les déclarations des femmes victimes des ces violences, cette situation crée dans le chef de leurs maris une présomption d’infidélité”.

Tabaro déplore ces cas et appelle les autorités à intervenir chacune en ce qui le concerne. Sans l’intervention des autorités selon lui, il y aura toujours l’accroissement de cas des violences sexuelles et celles basées sur le genre.

Il salue cependant, les efforts consentis par certains partenaires de l’Etat Congolais qui interviennent dans le secteur de l’eau et qui mettent en place et de commun accord avec les ETD, des mécanismes de gestion qui permettent la durabilité, le développement et l’extension des réseaux d’eau.

C’est le cas par exemple, révèle notre source, de la chefferie de kabare qui a commencé à mettre en place des ASUREP (Association des usagers des réseaux d’eau potable). Ces associations, affirme-t-il, font que dans certains groupements, l’eau devient de plus en plus accessible. Ce qui soulage petit à petit la population bien qu’il y ait encore trop à faire.

A lui d’ajouter que, sur les 17 groupements y compris les villages et sous village que compte le territoire de kabare, seuls cinq ont déjà ce système d’ASUREP avec des bornes fontaines et des raccordements privés près des ménages et même, dans des parcelles des particuliers.

Pour lui, le pourcentage reste encore insignifiant. Le souhait reste à sa conviction, que chaque groupement ait ses propres mécanismes de gestion qui permettront la disponibilité de l’eau potable en qualité et en quantité. Cela va permettre, affirme-t-il, d’éviter que des femmes et filles soient souvent victimes des violences sexuelles et basées sur le genre.

Me Éric Byamungu, Défenseur judiciaire près le Tribunal de grande instance de Kavumu, laisse entendre pour sa part que, la constitution de la RDC en son article 48 consacre le droit d’accès à l’eau potable en ces termes; “Le droit d’accès à l’eau potable et à l’électricité sont garantis. Les lois fixent les modalités d’exercice de ces droits”.

Cette disposition de la constitution est soutenue par la loi organique du 07 octobre 2008 portant composition, organisation et fonctionnement des Entités territoriales décentralisées, et leur rapport avec l’État et la province qui à son article 84 renforce la gestion de proximité aux ETDs en ces termes; “Le conseil des ETD ont aussi comme attributions la gestion des eaux, des cours d’eau et des rives”.

Il renchérit en disant que, c’est dans ce cadre que la loi du 31 décembre 2015 relative à l’eau a été promulguée et contient toutes les dispositions qui responsabilisent les ETDs et les provinces en ce qui concerne l’eau de consommation considérée comme premier usage des ressources en eau.

Il en est de même en ce qui concerne la Politique nationale des services publics de l’eau qui donne les tâches et les attributions spécifiques à chaque entité territoriale décentralisée.

Rapprocher l’eau des ménages

Me Eric conclut en disant que, la loi de 2015 insiste sur l’accès égal et équitable aux ressources en eau et le fait que la loi sanctionne sévèrement le fait de priver les consommateurs de l’eau. Il rappelle cependant, qu’il est du devoir des pouvoirs publics de prendre toutes les mesures pour mettre à la disposition de leurs administrés de l’eau potable, bien que le service public de l’eau, pour sa pérennité et sa disponibilité n’est pas gratuit.

De son côté, Bisimwa Mondo Oscar, chef de Division provinciale des ressources hydrauliques du Sud-Kivu laisse entendre qu’à ce stade où les lois au pays sont assez claires, il reste qu’à les appliquer.

Il reconnaît de même, qu’il y a à tous les niveaux un manque de volonté politique d’autant plus que ce secteur très important pour la survie des congolais n’est pas pris en compte.

Il révèle cependant, qu’il y a des réalisations des partenaires qui interviennent dans le secteur de l’eau mais qui malheureusement, n’associent pas tous les acteurs clés qui interviennent dans ce secteur. Pour lui, cette situation occasionne un manque de coordination d’actions, de suivi et évaluation mais aussi la responsabilisation sur terrain.

L’eau c’est la vie dit on: rencontrer à ce sujet, le délégué de la Chefferie et expert provincial du secteur de l’eau, Monsieur Byamungu Babunga reconnaît le faible taux d’accès à l’eau potable dû au manque d’infrastructures à Kabare.

Pour lui; cela est dû au manque de volonté politique de la part des autorités tant nationales que provinciales, qui n’affectent pas des moyens financiers conséquents dans le secteur et le fait que la population, non seulement vit pour la plupart; dans une situation de misère, mais n’arrive pas à comprendre que le service public de l’eau, pour sa pérennité et sa durabilité ne doit pas être gratuit.

A la question de savoir si des cas de violation des droits humains ont été enregistrés dans leur Entité, celui-ci répond par une affirmation et déclare:

“Nous avons eu à enregistrer des cas de violation des droits humains et beaucoup plus chez les femmes et les jeunes filles. Cela c’est lorsqu’elles vont à la recherche de l’eau potable à une longue distance de leur ménages. Cette situation les exposent aux risques de viol, et toute autre forme des violences sexuelles et basées sur le genre. Il y a des femmes qui sont accusées d’infidélité sans oublier les cas de jeunes filles qui arrivent souvent en retard à l’école et cela, ne leur facilite pas une bonne scolarité”, explique-t-il.

Et d’ajouter que:

“La chefferie, avec l’accompagnement des partenaires techniques et financiers est en train de mettre en place des adductions d’eau et aménager des sources dans des groupements et villages pour remédier à la question de manque d’eau potable. A celà s’ajoute, la mise en place des ASUREP comme structures de gestion. Car c’est un modèle qui a prouvé son efficacité depuis 2010 avec la première ASUREP de Cishadu en groupement de Mudusa”, révèle-t-il.

“Nous allons poursuivre, ajoute-t-il, la mise en place de ces structures partout où il y a déjà des adductions d’eau. Il y a aussi des plaidoyers au niveau des autorités provinciales, nationales et des partenaires qui sont en cours. C’est le cas du projet du gouvernement pour le développement de 145 territoires au niveau du pays”.

J’invite ainsi toutes les parties prenantes, population, autorités locales, provinciales et nationales à jouer chacun son rôle afin que l’accès à l’eau potable, un des piliers des objectifs du développement durable d’ici 2030 deviennent une réalité et que nos femmes et jeunes filles aujourd’hui victimes des violations de leurs droits et leurs dignités recouvrent leurs droits.

La loi sur l’eau étant promulguée depuis 2015, il ne nous reste qu’à la vulgariser et la mettre en application en construisant des infrastructures d’eau potable pour limiter ce qui constitue hier et aujourd’hui; un problème de violation des droits des femmes et jeunes filles.

Il est donc anormal que dans un pays qui dispose de plus de 52% des ressources en eau du continent Africain, que les femmes et jeunes filles continuent à être victimes des leurs droits. Mais aussi dans un territoire qui loge les forêts comme celle de Kahuzi Biega, que les femmes continuent à prendre le risque de traverser le lac Kivu à la recherche de l’eau potable à Idjwi et ailleurs a martelé Byamungu.

Mme Immaculée Kulimushi, Officier de police judiciaire OPJ chargée de la lutte contre les viols et violences basées sur le genre du district Lac-Kivu de la police nationale congolaise à kabare (kavumu), affirme que plusieurs cas des viols et violences basées sur le genre sont régulièrement enregistrés et les causes sont entre autre la recherche de l’eau potable par des femmes et filles.

 » Le grand problème est que, dans la plupart des cas, les survivantes ne connaissent pas les bourreaux”, explique-t-elle.

“Poursuivant ses propos, elle regrette de voir que d’autres cas ne sont pas dénoncés mais vécus régulièrement dans les communautés. Pour les cas dénoncés et enregistrés chez nous, nous transmettons les cas pour instructions auprès du Parquet de grande instance de Kavumu où des jugements sont rendus mais les survivantes peinent encore à obtenir les dommages et intérêts qui leurs sont alloués après les jugements suite à la pauvreté des bourreaux aussi”, révèle-t-elle.

Nous demandons donc aux autorités compétentes de travailler sur les causes en rendant disponible l’eau qui du reste est source de vie. La femme et la jeune fille à la recherche de la vie ne devraient pas être victimes de toute forme des violences recommande-t-elle.

De notre côté, des informations recueillies auprès de deux ASUREP déjà mises en place à Kabare, renseignent que des bornes fontaines sont installées sur différents réseaux et desservent un ou plusieurs villages. Cette eau provient de sources naturellement propres. Un des gérants des ASUREP Théophile Musholole de Miti-Mudaka précise qu’un bidon de 20 litres se donne à 25 francs congolais et que c’est cet argent réuni qui leur permet de faire la maintenance, l’entretien et l’extension des réseaux dans d’autres coins. Cela, en rendant compte de la gestion aux usagers et à la chefferie qui est le maître d’ouvrage.

Musholole invite à cet effet les autres villages, groupements, chefferies et provinces de s’approprier ce mode de gestion pour que l’accès à l’eau devienne une réalité sur l’ensemble de la République démocratique du Congo. Cela selon lui; pour réduire sensiblement les violations des droits humains liées à l’approvisionnement en eau potable.

Francine Cikezo, JDH.

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