RDC : Le gouvernement traque désormais la publication des documents officiels sur les réseaux sociaux

En République démocratique du Congo, gouvernement a instruit depuis le mois de mai la justice à réprimer toute publication des documents officiels jugés confidentiels sur les réseaux sociaux. Ce qui risque de renforcer mettre en mal la liberté d’expression et d’entraver la démocratie. Les activistes des droits humains dénoncent.

 «Il me revient donc avec force de prévenir la divulgation à foison des correspondances officielles, de même que la publication éhontée des fichiers de toute nature portant atteinte, non seulement à la vie privée et à l’honneur des personnes, mais aussi et surtout à l’image du Pays et à la vie de toute la Nation», annonce le ministre de la justice. Dans son communiqué du 15 mai 2020, le garde des sceaux en République démocratique du Congo sonne une forme de rappelle à l’ordre tout en menaçant ouvertement les acteurs qui relaient certaines informations sur les réseaux sociaux. « C’est notamment les informations qui mettent en mal les pratiques du régime », révèle Me Pascal Mupenda, chargé des programmes à l’ONG partenariat pour la protection intégrée, PPI.

Depuis le début du mandat du régime du président Felix Tshisekedi, en janvier 2019, plusieurs documents officiels de la présidence de la République et du gouvernement ont, en effet, fuité dans les réseaux sociaux. Des documents qui ont parfois ému l’opinion nationale, mettant à nu la mauvaise gestion des institutions au sommet de l’Etat.

 « Il y a eu des marchés passés dans l’opacité ou des détournements au sein du gouvernement dont les preuves ont été publiés sur les réseaux sociaux. Elles ont été relayées par les médias en ligne et sur les réseaux sociaux. Ça n’a pas surement fait plaisir aux gouvernants », reconnait Jean Bosco Irenge, activiste des droits de l’homme au sein du réseau pour la liberté et les droits, RLD.

Confusion sciemment entretenue

 Parmi les dossiers les plus sensibles enregistrés ces derniers mois, le « programme d’urgence des cents jours du président de la république ». Suite aux différentes révélations, principalement sur les réseaux sociaux, le directeur du cabinet du président de la République a été condamné à 20 ans de prison pour détournement. « La population étant informée régulièrement sur ce qui se passait, je pense que cela n’a pas fait plaisir aux autorités », regrette Irenge.

Pourtant, pour le ministre de la justice de la RDC, la diffusion de ces données rentre dans l’ordre de la cybercriminalité. « D’autant plus que des tels documents sont couverts de confidentialité et sont uniquement destinées aux personnes et personnalités concernées, leur diffusion pose des sérieux problèmes d’éthique administrative, de manipulation de l’opinion, de viol du secret professionnel, et de sécurité », note Tunda Ya Kasende.

Si le communiqué du ministre reprend formellement certaines activités criminelles comme le chantage lié aux sextape, la fabrication et la diffusion des faux documents contenant des sceaux et signatures des autorités, il n’en n’est pas de même quand il s’agit de la diffusion des documents authentiques qui ont fuité en ligne.

 « Le ministre de la justice crée sciemment la confusion mélangeant des actes criminels et la publication des documents authentiques sur les réseaux sociaux. Ça n’a pas vraiment des rapports», remarque Me Pascal Mupenda.

Une attitude aussi dénoncée par Honneur David Safari, coordonnateur du Réseau des médias en ligne dans les grands lacs, REMEL. « On sait aujourd’hui que plusieurs documents officiels fuitent sur les réseaux sociaux. Maintenant le gouvernement veut nous dire : attention, si vous publiez ou vous relayez vous serez condamné pour cybercriminalité et on va vous mettre en prison. C’est pas normal», dénonce-t-il.  

L’interdiction de la diffusion des documents officiels sur les réseaux sociaux vise aussi surtout à museler les médias en ligne et les « lanceurs d’alertes » qui ont une grande influence sur internet et dans l’opinion, indique Honneur David Safari. « Les journalistes pour les médias en ligne utilisent les réseaux sociaux pour partager leurs publications et pour s’informer. Ils reçoivent des informations parfois secrètes auprès des lanceurs d’alertes qu’ils peuvent aussi diffuser en premier. Donc dans ce cas aussi le journaliste risque d’être arrêté pour avoir relayé une information sur internet ?», s’interroge-t-il.

Honneur David Safari est aussi le directeur général du média en ligne « laprunellerdc.info ». Son média a été à plusieurs reprises l’objet des menaces pour avoir diffusé et relayer en ligne des informations jugées déplaisantes par les autorités. Comme lui, d’autres médias en ligne redoutent le musèlement suite au renforcement de la surveillance numérique par les autorités.

 « Les autorités cherchent davantage à nous réduire au silence. Parce que comme ça, il nous sera difficile de relayer certaines informations qui ont trait à la gouvernance ou dénoncer l’opacité dans l’action des gouvernants. On sera tout le temps sûr qu’il ya des agents de renseignement ou du parquet qui nous surveillent, prêts à nous arrêter », indique Sandra Safi Bashengezi, directrice du journal en ligne Jambordc.info.

Lire aussi: RDC : L’atteinte à la liberté d’expression sur les réseaux sociaux entame la démocratie

Pourtant, pour plusieurs observateurs, il n’y a pas lieu ici au gouvernement de vouloir surveiller et réprimer les personnes qui relaient les informations sur les réseaux sociaux. Il faut, surtout, moraliser l’administration pour éviter que des telles informations fuitent.

« Si déjà au niveau de l’administration ou des cabinets ministériels on est incapable de faire respecter le secret professionnel, on ne doit pas imputer cela au journaliste ou à l’internaute qui relaie », indique Pascal Mupenda. « On ne doit pas opposer dans ce cas précis au journaliste ou à l’internaute la violation du secret professionnel pour avoir relayé ou diffusé une information authentique qui a fuité de l’administration », ajoute-t-il

Une atteinte au droit à l’information

Que ça soit pour les médias en ligne ou pour les autres utilisateurs des réseaux sociaux, le fait d’apporter cette limitation de diffuser ou des relayer des documents officiels ayant fuité dans les réseaux sociaux regorge désormais un risque. Le ministre congolais de la justice a même été clair à ce sujet. « Toutes les personnes impliquées dans ces phénomènes de cybercriminalité connaitront la rigueur de la loi et des services judiciaires », a-t-il insisté.

Pourtant, observe Me Pappy Kajabika, chercheur et enseignant à la faculté de droit à l’Université libre des pays des Grands lacs, ULGL, aucune loi aujourd’hui ne criminalise la cybercriminalité en République démocratique du Congo. « La loi est encore muette par rapport à la cybercriminalité, à toutes les infractions commises par voie des nouvelles technologies », remarque Me Kajabika. « Dans la décision du ministre il y a des termes utilisés mais qui n’ont pas encore de signification légales en RDC et attendent encore d’être légiféré au parlement», ajoute-t-il. Ce qui risque d’exposer davantage les usagers des réseaux sociaux, notamment les journalistes et lanceurs d’alertes, à des abus du pouvoir et entraver le droit à l’information. « Cette décision est en marge de l’article 24 de la Constitution qui consacre le droit à l’information, la liberté de la presse, la liberté d’information et d’émission par la radio et la télévision, la presse écrite ou tout autre moyen de communication », note Me Pappy Kajabika.

Il demande au ministre de la justice de revoir sa décision pour ne pas entraver les droits et libertés des citoyens en matière d’information. « Chercher à taire l’information ou à faire taire les informateurs c’est porter atteinte à notre jeune démocratie », insiste Me Kajabika.

Prince Murhula

This research on digital surveillance was supported by the Media Policy & Democracy Project (MPDP), jointly run by the University of Johannesburg and Unisa.

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