« Réfugiée dans mon propre pays »: le ras le bal de Sandra Bashengezi

Je suis Sandra Safi Bashengezi, congolaise de père et de mère, vivant en République Démocratique du Congo (RDC).
Journaliste, défenseure des droits humains, entrepreneure, épouse et mère de 6 filles, ma vie est une bataille perpétuelle !
De la survie
Toute ma vie je ne fais que survivre . Pourquoi ?
Depuis plus de 30 ans je vis dans une zone où la guerre est notre quotidien . Chaque jour on entend sur toutes les ondes( radio, télévision, journaux, réseaux sociaux), qu’on on a tué, violé, volé, récupéré ou conquis nos terres et chaque fois nous devons chercher un endroit «paisible » pour nous abriter en entendant l’accalmie.
Mes parents nous disaient toujours de profiter chaque instant de notre vie car tout peut basculer à chaque instant.
Nos champs et nos villages qui autrefois nous nourrissaient ne nous appartiennent plus car devenus des champs de bataille.
L’année scolaire commence sans savoir si elle doit finir. Nous étudions en sachant qu’à chaque moment l’année à milles couleurs peut devenir année blanche.
Nous ne pouvons pas avoir de projets à long terme car on ne sait ni l’heure ni le jour où nous pouvons fuir et tout laisser derrière nous.
Et chaque fois que je posais la question à mes parents, la seule réponse qu’ils me donnaient : Pourvu que nous soyons en vie. Un jour nous aurons aussi la paix au nom de Dieu.
Survivante
En 1996 j’ai vécu la guerre pour la première fois. Âgée de 4 ans , nous avons parcouru des montagnes et des collines ,pieds nus , sans eau ni nourriture fuyant la guerre.
Chaque kilomètre parcouru était un exploit et une action de grâce.
Ma mère venait d’accoucher quelques mois plutôt de mon petit frère, son sixième enfant. Mon père devrait faire le super héros pour que tous nous arrivions sains à destination.
Les cadavres étaient allongés dans toutes les rues et ruelles de la ville de Bukavu.
Du sang , l’odeur des corps en décomposition et les soldats étrangers contrôlaient chaque geste et mouvement des réfugiés.
Nous étions des milliers à fuir Bukavu pour Ngweshe notre village natal situé à 45kg mais nous étions peu à arriver ,80% de nos compagnons ont perdu la vie en route.
À cette époque j’étais innocente et je pensais que c’était un cauchemar qui prendrait fin.
Ma famille et moi avons survécu .
8 ans après , en 2004, nous vivions encore le même scénario alors que j’avais 12 ans. Nos amis de l’école avaient perdu leurs parents, frères et sœurs. D’autres ont été violées et d’autres ont fuit le pays pour aller demander exil .
Pendant ce temps ma mère était fortement enceinte et à chaque fois elle disait à mon père qu’elle n’irait nulle part car étant épuisé. Nous sommes restés enfermé dans la maison attendant notre fin , tout pouvait basculer à tout moment. Et à chaque fois qu’on fermait les yeux pour dormir, mon père nous demandait toujours d’être éveillé car selon lui on pouvait fuir à tout moment.
Deux semaines après nous vîmes le soleil.
Survivre de cette guerre de MUTEBUSI était pour nous une miséricorde divine.
Un cycle sans fin
Comment espérer à un avenir meilleur? Comment construire un Congo fort, uni et prospère dans ce climat de guerre et d’instabilité continue ?
Aujourd’hui j’ai 33 ans et je ne sais pas à quoi ressemble la paix.
Toute cette innocence de 1996 , la peur de 2004 et la responsabilité de 2025 me fragilise du jour au lendemain.
Toutes les questions que je posais à mes parents concernant la guerre, le viol, le vol,… et qui n’avaient pas des réponses satisfaisantes me sont retournées aujourd’hui.
Je suis devenu mère de 6 filles, l’aînée a 12 ans et la petite 9 mois.
J’ai quitté ma ville natale Bukavu pour la capitale, Kinshasa. Les menaces de mort y reçues suite à mon travail m’ont conduit à l’exil à Montréal (Canada). Après trois mois, j’ai décidé de braver la peur et regagner mon pays.

Avec mon mari, nous avons décidé de nous réinstaller dans la ville de Goma où nous avons aussi investi dans plusieurs projets.
Tout allait bien jusqu’au soir du 23 janvier 2025 où la ville de Goma tomba entre les mains des rebelles M23 et la ville autrefois fois paisible devint un champ de bataille . Nous avons décidé , mon mari et moi de tout laisser et d’épargner nos enfants du traumatisme que nous avons vécu dans notre enfance . Nous avons pris refuge dans une autre ville du pays espérant trouver la paix mais la psychose y est aussi au rendez-vous. Nous sommes dans l’obligation de quitter aussi cette ville pour sauver nos enfants.
Chaque matin mes enfants demandent si elles peuvent ranger leurs habits dans le placard de leurs chambres d’accueil et moi je dit de tout laisser dans les valises car on peut partir à tout moment. Une peur sans fin.
De la responsabilité
Tout congolais a le droit de la paix et de la sécurité tant sur le plan national qu’international…Article 52 de la constitution de la RDC
L’Etat congolais doit prendre ses responsabilités de garantir la sécurité des ses citoyens ainsi que de leurs biens .
Ça fait 30 ans que la guerre à l’Est de la RDC dure et nous ne voyons pas un plan de sortie qui est en marche.
Beaucoup des jeunes de ma génération , survivants comme moi ont déjà quitté le pays à la recherche du soit disant bonheur. Nous qui résistons jusqu’à présent nous sommes aussi fatigués . Nous gardons espoir!
Il n’y a pas un Etat sans citoyens.
Les gouvernants doivent nous garantir la paix sinon la jeunesse des années 90 va se libérer.
TROP C’EST TROP
J’AIME MON PAYS,
J’AIME LÀ RDC

ETJ, Ecole Technique des Journalistes pour la formation des journalistes

9 thoughts on “« Réfugiée dans mon propre pays »: le ras le bal de Sandra Bashengezi

  1. Il est temps que les choses changent!
    L’es traumatismes de la guerre ont assez duré!!

    Nous voulons d’une vie, à la hauteur du potentiel de notre beau, grand et riche pays qui est la République Démocratique du Congo ❤️

    1. Merci pour l’intérêt porté à notre article. N’hésiter pas à continuer à nous lier régulièrement.

  2. Tout simplement émouvant ! La guerre de 1996, je l’est vécue aussi. Mon oncle maternel en a été victime, encore très jeune, il avait une belle vie, une belle carrière mais le destin a décidé autrement ! Grand de taille, un bel homme quoi, il a été confondu par les militaires de l’ancienne régime ! Plusieurs balles l’ont réduit en bouillie ! Et les agents de la croix rouge ont dit à mon père, après 4 jours : * vous chercher telle personne ? Voici sa carte d’identité et ses cartes de services ! Il a été méconnaissable ! Nous l’avons enterré dans un trou commun !

    1. Merci de nous avoir lu, surtout de nous avoir partager votre témoignage par rapport à ce sujet.

  3. Ce ras-le-bol me laisse sans mots aux lèvres. Je me souviens les années 96 quand ça crépitait de tout coin et à ce temps là, au delà des adultes et des personnes autrement capables, un enfant de 2 ans faisant large pied au mieux d’une foule, sous mes yeux, trouva la mort.
    A cette époque toute maladie guérissait et les seules causes de la mort n’étaient que, si pas des balles réelles ou perdues, c’est la fin ou encore la fatigue.
    Merci beaucoup chère sœur, Madame Sandra Bashengezi pour cet émouvant récit.

    Que Dieu nous en épargne.

    1. Merci de nous avoir lu et surtout de votre grande contribution à la situation sécuritaire en RDC

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