RDC: Le RAM risque d’accroitre la surveillance et limiter l’accès à la communication

Début mai 2020, l’accès à certains paramètres réseaux des millions de téléphones portables en République démocratique du Congo est bloqué. Le gouvernement vient de décider de passer à la vitesse supérieure dans le recouvrement pour la récolte des IMEI, qui est le numéro identifiant d’un téléphone, par les utilisateurs des téléphones portables en RDC à travers le Registre des appareils mobiles, RAM.

C’est depuis juin 2020 que le ministre des postes, téléphones, télécommunications  a mis en place le RAM, obligeant dorénavant à tout utilisateur du téléphone payer pour voir son téléphone rester actif. Un service qui normalement devait être gratuit. Mais les utilisateurs, malheureusement, doivent payer une taxe annuelle allant de 1,2 dollars américains pour les appareils 2G à 7,2 dollars pour les téléphones 3G ou 4G. « La taxe est annuelle. Ça veut dire qu’elle doit être renouvelée chaque année », explique Christian Katende, le président de l’Autorité de régulation des postes, téléphones et communications, ARPTC, un service spécialisé du ministère du PTT en RDC.

ETJ, Ecole Technique des Journalistes pour la formation des journalistes

 Le but, explique-t-il, « est d’assainir le secteur de la téléphonie en vue d’ optimiser la sécurité et la qualité de service des réseaux mobiles sur le territoire national, de lutter efficacement contre la contrefaçon des appareils mobiles en déconnectant les appareils identifiés comme non-conformes, et de combattre le vol des appareils mobiles en bloquant les appareils déclarés volés ».

Un argument qui est loin de convaincre la société civile. « Le fait de taxer chaque téléphone entre 1 et 7 $ doit entrainer la hausse du coût d’utilisation du téléphone en RDC », reconnait  Janvier Mizo Kabare, président de la Ligue des consommateurs du Congo Kinshasa, LICOSKI.  «Alors que le taux de pénétration de la téléphonie cellulaire dans le pays n’est encore qu’à 43%, cette taxe va plutôt bloquer l’accès aux téléphones mobiles en RDC. Au lieu de baisser les prix des téléphones, pour faciliter une forte interconnexion dans le pays, le gouvernement ne fait malheureusement, que surtaxer le secteur », regrette-t-il. Nombreuses organisations taxant cette opération de « pure escroquerie » car, regrettant la taxation sans contrepartie imposée par le gouvernement.

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Décourager l’accès à la communication

En 2023, dans deux ans, la République démocratique du Congo va connaître un nouveau cycle des élections après celles de 2019 ayant porté Felix Tshisekedi au pouvoir. Malgré ses promesses de renforcer la liberté d’opinion, les droits à la communication, le président congolais semble prendre des mesures sélectives afin de mieux contrôler l’opinion. Surtout en ce moment où une opinion le suspecte de vouloir retarder les élections pour aller au-delà du mandat de cinq ans prévu par la constitution qui court depuis 2019. Il y a peu, son prédécesseur, Joseph Kabila, coupait lui carrément l’internet et les services de messagerie SMS pendant les périodes des grandes contestations ou à la veille des élections. La société civile craint qu’il ne se serve à son tour du RAM pour limiter l’accès à l’information et à la communication des millions de congolais.

Selon le rapport l’ARPTC, en 2020, 38,073 millions de personnes étaient abonnés dans les réseaux de télécommunications en République démocratique du Congo. Ce qui représente un taux de pénétration de plus de 43% de la population générale.

La GSMA, un organisme international qui représente les intérêts des téléphones cellulaires, estime pour sa part qu’il y aurait entre 10 et 15% de téléphones contrefaits en RDC. Soit environ 3,8 à 5,7 millions d’abonnés. Le gouvernement a promis de bloquer leurs téléphones et les déconnecter. Des millions d’autres abonnés devront aussi être obligés de payer la taxe sous peine de voir, à leur tour, leurs téléphones bloqués. Ce qui est fait depuis ce mois de mai. Après une forte grogne au niveau national, le gouvernement a suspendu le blocage des téléphones non en règles tout en maintenant la taxe.

« Ce qui est attendu c’est la suspension définitive du RAM. Le gouvernement doit améliorer l’accès à internet sans taxer les utilisateurs » s’est indignée  le député national Juvénal Manubo après l’annonce du déblocage des numéros non « en ordre ».

Dans un pays où la majorité d’habitants vit avec moins d’un dollars par jour, et le taux de chômage estimée à plus de 84% de la population, la grogne est totale. Au point qu’à travers les réseaux sociaux, des dénonciations n’ont pas tardé.

« Déjà en achetant un téléphone, le consommateur paye dans la facture la TVA, qui est sa quotepart sur le dédouanement. Dans chaque crédit acheté, il paye la TVA, sa part de taxe, à travers son réseau de téléphonie au près du gouvernement. Lui imposer une nouvelle taxe, annuelle en plus, a des conséquences graves sur la vie des millions des gens », constate Janvier Mizo Kabare, président de la Ligue des consommateurs du Congo Kinshasa (LICOSKI).

 

Des conséquences, certes, il y en a surtout pour ce qui concerne le coût de la communication et dénoncé depuis plusieurs années. Le risque aussi de la déconnexion ou le blocage du réseau à de millions de jeunes et femmes dont le coût de vie reste faible inquiète également. Surtout que ces derniers sont, pour la plupart, en première ligne pour exiger au gouvernement  l’amélioration des conditions de vie, pour le respect des échéances électorales à venir. Bref, pour le respect de la démocratie et des droits humains.

« Avec ce système de RAM, le gouvernement nous a déjà prouvé qu’il peut être capable de d’accéder à nos téléphones, ou de nous déconnecter à tout moment globalement ou de manière ciblée. Des millions de congolais ont été surpris de voir leur accès limité à certaines fonctionnalités de leurs portables parce qu’ils n’avaient pas payé cette taxe illégale. La crainte est que le gouvernement s’en serve à l’avenir pour bloquer toutes les voix critiques ou contrôler les communications des gens », note Adrien Zawadi, président de la Société civile du Sud-Kivu, Est de la RDC.

En RDC, en plus des appels et services de messagerie, le téléphone est le principal moyen qu’utilisent les habitants pour se connecter à internet et aux réseaux sociaux. Bloquer des millions de personnes supposera aussi leur priver du droit d’accéder à ces services qui, pourtant, permettent aux communautés de s’exprimer.

Risque de surveillance et espionnage

En plus du découragement et de la limitation à l’accès aux services de téléphonie, d’autres acteurs craignent la croissance des mécanismes de surveillance par le gouvernement. Malgré les promesses de décrispation, le nouveau pouvoir en RDC n’est pas ouvert aux critiques. Les voix discordantes sont traquées, menacées ou emprisonnées. La situation risque d’être encore pire à l’approche des élections, d’ici 2023. Surtout qu’en détenant les données IMEI de chaque utilisateur, le gouvernement pourra être en mesure d’espionner facilement les communications des opposants, des mouvements sociaux ou de la société civile.

« En ayant une base des données qui contient les adresses IMEI de tout le monde, il sera possible de traquer une personne. Le gouvernement pourra détenir facilement les informations pour chaque personne, chaque sim connecté ainsi que le téléphone utilisé », explique Edie Mugisho, ingénieur en réseaux et télécommunications. Depuis 2015, le gouvernement a, en effet, ordonné l’enregistrement des informations pour les utilisateurs de chaque carte sim vendue en RDC. Selon plusieurs sources, en effet, grâce à l’IMEI, il est facile de traquer un télephone portable.

« Avec RAM, il y a aussi cette capacité de contrôler les communications  », alerte pour sa part Ewing Ahmed Salumu, journaliste et expert en réseaux et communication.

Malgré l’alternance au sommet de l’Etat, le gouvernement congolais reste pourtant offensif envers les journalistes critiques, les activistes des droits humains, la société civile, l’opposition et toute voix discordante. Seulement entre janvier et juin 2020, plus de 4000 cas de violations des droits humains ont été documentés par le Bureau conjoint des nations unies aux droits de l’homme en RDC.

Devant la répression ou des menaces, nombreuses victimes optent pour la clandestinité à l’intérieur même du pays si elles n’ont pas la possibilité de s’exiler à l’étranger.

«Si les autorités ont votre IMEI, ce qui est le cas présentement, cela suppose qu’elles peuvent vous géo localiser même si vous changz de cartes SIM.  Si aujourd’hui le service de sécurité (ANR) veut vous localiser, il suffit qu’il demande l’information à votre opérateur qui, à son tour, a l’obligation de coopérer.», prévient Ewing Salumu.  « Si le gouvernement fait une demande à un opérateur pour qu’un téléphone soit bloqué parce qu’il est opposant ou parce qu’il représente une menace, le numéro peut aussi être bloqué. Ou s’il demande de suivre ses communications, cela peut être fait », ajoute-t-il.

Ce qui risque d’accroitre l’arbitraire, renforcer la surveillance des communications et la violation des droits des populations à communiquer librement. Surtout qu’actuellement, la RDC ne dispose pas encore d’une loi sur la protection des données.

« Normalement, l‘existence de cette loi protectrice des données personnelles devait permettre de rassurer les abonnés aux services de téléphonie des garanties pour que leurs informations ne soient pas utilisés abusivement ou de façon malveillante. Surtout déterminer aussi les garanties pour prévenir toute forme d’espionage ou de surveillance illégale », précise Me Trésor Maheshe, professeur de droit.

Prince Murhula

This research on digital surveillance was supported by the Media Policy & Democracy Project (MPDP), jointly run by the University of Johannesburg and Unisa.

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