RDC : La protection des données numériques à caractère personnel pose problème

 

La République démocratique du Congo ne dispose pas à ce jour d’un code sur la protection des données numériques. Ce vide juridique pousse aux nombreux abus vis-à-vis des citoyens dont, entre autres, la protection de la vie privée et données à caractère personnelles. Même si la législation actuelle essaie de résoudre le problème, mais son application reste limitée. 

En République démocratique du Congo, la protection des données numériques pose problème. Que ça soit pour le secret de correspondance ou de la vie privée,  de nombreuses intrusions exposent les citoyens face aux bourreaux du numérique. Journalistes, politiciens, élèves, toutes les catégories de la population sont exposées face aux violations via le numérique.

Juillet 2022, Rachel Kitsita,  une célèbre journaliste et critique du pouvoir voit ses photos et vidéos intimes diffusées sur la toile en République démocratique du Congo. Ses proches ont dénoncé un règlement de compte du pouvoir dans le but de la discréditer de l’opinion publique suite à ses prises de position. Un journal de Kinshasa a affirmé que cela est son sort pour avoir voulu toucher les intouchables c’est à dire le chef de l’Etat et son entourage. Elle n’a pas échappé à la loi kinoise où “quand tu touches les intouchables, tu subis la honte” a publié kribiosuniversal.

Quelques jours plus tard, en juin 2022, une vidéo mettant en scène des  étudiantes en plein ébats sexuels est diffusée sur les réseaux sociaux. Les victimes ont été filmé à leur insu par leurs partenaires  sexuelles mais se verront blâmées et renvoyées de l’université. En réponse, elles ont affirmé avoir été filmées clandestinement. Le fait que ces vidéos tournés dans un cadre intime et dans la fraude aient été balancés sur les réseaux sociaux a choqué de nombreuses personnes. Si la grande majorité a condamné les filles, certaines personnes ont dénoncé l’impunité des personnes qui ont diffusé les vidéos. Parmi lesquelles Charly Amisi, activiste des droits humains. “Je leur demande (aux filles victimes, ndlr) de saisir le parquet ou le tribunal par citation directe pour sanctionner les personnes qui ont balancé leurs vidéos intimes sur les réseaux sociaux a-t-il conseillé sur son compte Facebook.

Si généralement la diffusion de ces vidéos crée l’émoi dans la communauté, culpabilisant les victimes, le cadre juridique en RDC reste vide pour que celles-ci réclament réparation. Pourtant les images sont prises ou envoyées dans un cadre purement privé ou, dans le pire de cas, filmées sans l’approbation des victimes dans le but de les exposer au mépris public.

 « Nous avons vu Heritier Watanabe, un célèbre musicien arrêté parce que ses vidéos intimes ont fuité sur les réseaux sociaux. En principe c’était lui la victime mais on l’a accusé d’attentat aux bonnes mœurs. Comme lui, de manière générale, les victimes sont poursuivies ou sanctionnées. Avec la pression, elles n’arrivent pas à demander réparation. Ce qui d’office offre l’impunité aux auteurs de ces vidéos ou aux personnes qui publient les données intimes, ça peut être des messages, sons ou vidéos, et les mettent sur la scène publique dans le but de nuire », explique Me Raymond Kamango, avocat.

“La plupart d’auteurs agissent dans le but soit de discréditer les victimes. Ça on l’a vu pour des personnalités publiques, journalistes, défenseurs des droits humains, opposants politiques. Ces vidéos servent à leur faire du chantage et souvent à saper leur notoriété, pour qu’ils abandonnent leurs enquêtes ou leurs positions politiques”, analyse Alain Ngushirwa, politologue. “Parfois cela est aussi pour rançonner de l’argent ou pour contrôler les victimes ou se venger d’elles”, ajoute-il.

Avis que partage aussi le journaliste Trésor Mpanda, membre du réseau JTI (Journalism trust initiative) de Reporters sans frontières en République démocratique du Congo. 

“Très souvent les données sont utilisées comme objet de chantage. Quelqu’un qui a accédé à ta  vidéo privée  compromettante t’exige soit de l’argent, soit de prendre une position politique ou d’autres services sous peine de les divulguer. Rien ne protège dans ce cas la victime”, indique Trésor Panda, journaliste. 

Le problème ici, résume Kamango, n’est pas le caractère du contenu publié des victimes. Mais le fait que n’importe qui peut facilement accéder aux contenus privés d’autrui et se permettre de les publier sur les réseaux sociaux mettant en péril l’image et l’honneur des victimes ou les utiliser comme objet de chantage.

Une loi moins sévère 

En République démocratique du Congo, la loi reste moins sévère par rapport aux violations des données privées à caractère numérique.

 Le code pénal et la constitution restent la référence. “Toute personne a droit au respect de sa vie privée et au secret de la correspondance, de la télécommunication ou de toute autre forme de communication. Il ne peut être porté atteinte à ce droit que dans les cas prévus par la loi”, insiste l’article 31 de la Constitution de la RDC. Et à l’article 71 du  code pénal d’ajouter “ Toute personne qui, hors les cas prévus par la loi, aura ouvert ou supprimé des lettres, des cartes postales ou autres objets confiés à la poste, ou ordonné ou facilité l’ouverture ou la suppression de ces lettres, cartes et objets sera punie d’une amende qui ne dépassera pas deux mille zaïres pour chaque cas. L’amende pourra être portée à cinq mille zaïres si la lettre ou l’envoi était recommandé ou assuré ou s’il renfermait des valeurs réalisables”

 Si la Constitution fait référence au numérique, le code pénal qui date de 1940 ne prend pas en compte cet aspect. “Il se limite aux correspondances envoyées par le canal de la poste pourtant les choses ont complètement évolué aujourd’hui. Actuellement nous avons les e-mail, les réseaux sociaux comme watsapp, telegram, tik tok,… qui servent de canal de correspondance”, note Me Daniel Lunze, avocat. Et la peine d’amende prévue, n’a rien d’impressionnant pour dissuader les contrevenants. “Ce qui laisse un vide juridique en matière de protection de la vie privée sur internet ou les réseaux sociaux”, ajoute-t-il. 

“Heureusement que la loi sur la télécommunication a été adoptée et érigée certaines infractions liées à la technologie de l”information et de la communication. Mais cela reste limité”, ajoute Me Lunze.

Une législation moins sur la télécommunication peu dissuasive

En gros, l’arsenal juridique existant “ souffre de l’absence des dispositions pouvant assurer la protection de la vie privée de la personne humaine et de ses données à caractère personnel face aux multiples dangers résultant du développement des technologies de l’information et de la communication”, comme le souligne l’exposé de motif de la loi sur la télécommunication en République démocratique du Congo.

En 2020, la République démocrartique du Congo s’est dotée de la loi relative aux télécommunications et aux technologies de l’information et de la communication. Celle-ci a été la première révolution en matière de protection des données à caractère personnel via le numérique. Mais sa portée reste encore limitée. “Par  données à caractère personnel  il faut comprendre toute information relative à une personne physique identifiée ou identifiable, directement ou indirectement, par référence à un numéro d’identification ou à un ou plusieurs éléments propres à son identité physique, physiologique, génétique, psychique, culturelle, sociale ou économique », indique l’alinéa 37 de l’article 4 de la loi.

« Cette loi consacre en ses articles 126 à 133 le  droit au respect de la vie privée et à la protection des données à caractère personnel en matière de télécommunication et des technologies de l’information et de la communication », a commenté Me Jean Bosco Irenge. 

S’agissant de la protection des correspondance, elle interdit ainsi en son article 7 “ l’interception, l’écoute, l’enregistrement, la transcription, et la divulgation des correspondances émises par voie de télécommunication et de technologie de l’information et de la communication, sans l’autorisation du parquet près la Cour de cassation”. Les auteurs de cet acte sont punis d’une peine de trois ans de prison et/ou d’une amende allant de 500 à 5000 dollars américains souligne l’article 180 de la loi sur la télécommunication. 

Il s’agit en effet de la consécration du droit au secret des correspondances dans le chef de tout utilisateur des réseaux et services de télécommunication et des technologies de l’information et de la communication.

Pour ce qui est de la vie privée, la loi interdit également la diffusion des données sans l’autorisation préalable des personnes concernées. “ La collecte, l’enregistrement, le traitement, le stockage des données à caractère personnel se font sur autorisation de l’utilisateur concerné ou du parquet près la cour de cassation”, insiste l’article 132. Les auteurs sont punis d’une peine de prison de 6 mois et/ou d’une amende de 500 à 5000 dollars américains. 

Vers un code numérique 

Certes, la loi sur la télécommunication a marqué un grand pas dans le progrès vers la protection numérique en République démocratique du Congo. Tony Mwaba, député national, actuellement ministre , estime toutefois que celle-ci reste limitée dans sa portée et ne résout pas l’essentiel du problème par rapport au contexte numérique en RDC. 

Professeur Tony Mwaba sur Twitter : “#AssembléeNationale. J’ai déposé ce lundi 22 mars 2021 une proposition de loi portant code numérique en RDC. https://t.co/dhMFUfh4c0” / Twitter

“Elle  n’a  pris en compte que très partiellement les situations complètement inédites, Notamment la protection des données à caractère personnel, la cyber sécurité et la cybercriminalité”, souligne-t-il.

Le 14 octobre 2022, le gouvernement a adopté le projet de loi portant code numérique en République du Congo. Selon Eberande Kolongele, ministre en charge du numérique en République démocratique du Congo, ce code va permettre,  entre autres, “de renforcer  la protection des données, la consécration de la validité juridique de l’écrit électronique et de la preuve électronique ainsi que l’admission des outils qui les accompagnent, notamment l’identification digitale, la signature électronique et le cachet électronique ainsi que les régimes juridiques qui s’attachent aux nouveaux services numériques, qui échappent actuellement à l’application des lois sur les télécommunications, notamment les plateformes numériques de services sociaux et du e-commerce ainsi que les opérations de télécommunications offrant des services numériques de masse”, 

L’adaptation de la législation congolaise en matière du numérique va contribuer à la protection des citoyens tant pour ce qui concerne leurs correspondances que pour ce qui est de leur vie privée. Ceci pourra aussi dissuader les personnes qui utilisent le numérique pour violer les droits des autres.

Prince Murhula

This research on digital surveillance was supported by the Media Policy & Democracy Project (MPDP), jointly run by the University of Johannesburg and Unisa

 

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