Judith Maroy (Lucha): Depuis que Kabila ne veut pas organiser les élections il y a un flou qui règne au pays

C’est depuis trois ans que Judith Maroy, 30 ans, s’est engagée dans le mouvement citoyen pro-démocratie Lutte pour le changement (Lucha). Révoltée par les conditions sociales et économiques et un président de la république, Joseph Kabila, qui ne veut pas céder le pouvoir conformément à la Constitution, elle est l’une des rares femmes à se battre dans les rues de Bukavu pour l’alternance en RDC.

En République démocratique du Congo, depuis 2015, plusieurs mouvements citoyens sont à pied  d’œuvre pour exiger la tenue des élections et l’alternance à la tête du pays. Joseph Kabila, l’actuel président de la République dont le mandat a expiré en décembre 2016 après 17 ans de règne ne peut plus postuler pour un autre mandat. Mais il tient à se maintenir au pouvoir malgré cette limite constitutionnelle.

Ayant justifié la non tenue des élections prévues en décembre 2016 par le manque de moyens financiers, un accord a été trouvé le 31 décembre 2016 sous la facilitation des évêques catholiques, pour les repousser d’une année, en décembre 2017. L’accord exigeait aussi la libération des prisonniers politiques, le retour des exilés politiques, la non révision de la Constitution et la mise en place d’un gouvernement dirigé par l’opposition (le Rassemblement).

Au Sud Kivu, à l’est de la RDC, la LUCHA suivait avec attention le déroulement du dialogue facilité par les évêques et son précédent tenu sous l’égide de l’Union africaine. Ce mouvement a refusé de prendre part à tous ces dialogues. « On savait que c’était compromettant », explique Judith Maroy

Mais Kabila n’a pas tenu promesse. « Au contraire, il s’est mis à torpiller  l’accord en l’exécutant à sa manière pour retarder davantage les élections, refusant la libération de certains prisonniers et exilés politiques », regrette la militante.

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Répressions dans le sang

Judith Maroy (en pagne, avec mégaphone), lors de la marche du 25 février 2018

Pour contraindre le président Kabila à céder son fauteuil, depuis décembre 2016, des manifestations pacifiques sont organisées afin de « barrer la route à la dictature », exiger l’organisation des élections et la mise en œuvre intégrale de l’Accord.

En face d’une opposition et une société civile divisée et affaiblie, ce sont plutôt des organisations indépendantes et mouvement citoyens qui prennent les choses en mains pour exiger le départ de Kabila selon l’accord du 31 décembre aussi appelé accord de la Saint Sylvestre.

Au premier rang, le Comité laïc de coordination, CLC, une structure rattachée à l’église catholique de Kinshasa dont les appels à manifester sont très suivis à travers le pays.

Dans cette vaste lutte pacifique, à Bukavu, dans la province du Sud Kivu, Judith fait aussi partie des acteurs au  premier rang des marches.

 « Quand le CLC a pris cette initiative [d’organiser des marches NDLR], soutenue par l’Archevêque de Kinshasa, ça nous a tous égayé. Nous avons vraiment accueilli son message que nous avons aussi sérieusement relayé. Pour moi l’église a une forte capacité de mobilisation de ses fidèles et le CLC c’est une force», indique Judith Maroy.

Dans un pays où plus de 90 % des jeunes sont au chômage, l’accès à l’éducation est difficile, l’accès à l’eau et à l’électricité sont un luxe, l’insécurité règne en maître, les droits et libertés fondamentaux sont bafoués et où il n’existe même pas des infrastructures de base, l’appel du CLC sonne comme un appel de l’espoir pour le changement.

Face aux chrétiens non armés souvent munis des chapelets, bibles  et rameaux pour exiger les élections et l’alternance, les forces armés et la police utilisent plutôt un arsenal disproportionné face aux manifestants: gaz lacrymogènes et balles réelles pour disperser des marches.

Ainsi, morts d’hommes, blessés, arrestations, menaces, intrusion dans des églises, autant de scènes macabres et de violences qui marquent désormais le quotidien des congolais qui veulent s’exprimer.

La dernière marche organisée par le CLC, le 25 février, s’est soldé par au moins deux morts, dont l’activiste Rossy Mukendi, des dizaines des blessés et  des centaines d’arrestations dans le pays.

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Mais pour Judith Maroy, à l’instar d’autres congolais engagés pour la démocratie sur l’ensemble de la RDC, la répression policière croissante n’entrave pas sa motivation à poursuivre la lutte pacifique pour le changement.

Malgré qu’elle se soit fait arrêté à trois reprises par la police, qu’elle ait vu des gens inoffensifs à ses côtés se faire tirer dessus à balles réelle ou perdue des proches durant ces marches, sa détermination demeure intacte.

 «Lors des marches pacifiques, lorsque je suis en face des gens armés jusqu’aux dents je me  sens  prête à tout. On peut recevoir une balle, on peut être arrêté, parfois on nous tabasse… Je me sens prête pour tout ça tant que je suis pacifique», explique Judith.

 « Plus Kabila reste, plus les choses s’empirent »

L’obstination de Joseph Kabila à rester au pouvoir malgré l’expiration de son mandat affecte pourtant tous les secteurs de la vie en RD Congo. La situation sécuritaire se dégrade du jour le jour, l’économie du pays est en chute, les droits humains sont violés quotidiennement, même le peu d’infrastructures existantes disparaissent.

« Depuis que Kabila ne veut pas organiser les élections il y a un flou qui règne au pays. On ne sait pas ce qui peut survenir d’un moment à l’autre. La situation devient incontrôlable sur tous les plans : sécuritaire, économique et politique. Et ce flou affecte le petit peuple », constate Judith Maroy.

En effet, depuis 2015, à la veille de l’expiration du mandat de l’actuel président, le pays a connu un taux d’inflation de plus de 50% impliquant une forte chute de la valeur de la monnaie locale. Plusieurs fonctionnaires ne sont plus payés, la situation sécuritaire s’est davantage détériorée, et la grogne sociale s’accentue.

L’espoir pour la majorité des congolais est de voir se tenir les élections transparentes d’ici le 31 décembre tel qu’annoncé par la Commission électorale indépendante de la RDC, CENI.

Sinon, prévient Judith Maroy, le risque est énorme si les élections ne sont pas organisées en décembre 2018 tel qu’annoncé. « Il y a beaucoup de groupes armés qui risquent de naître pour soit disant chasser Kabila. La situation risque de s’empirer sur tous les plans », insiste-t-elle.

Pour la militante, le président Kabila devait prendre le courage d’organiser les élections et laisser au peuple de se choisir ses nouveaux dirigeants cette année.

« Il [le président] a suffisamment gagné si c’est de l’argent qu’il veut. La Constitution lui donne même le droit de devenir sénateur à vie. Il doit laisser le pouvoir et le laisser honorablement. Dans le cas contraire le peuple congolais va se réveiller et il va partir scandaleusement. Ce qu’on ne lui souhaite pas», prévient-elle.

Pour la jeune militante, l’engagement de tout congolais doit être de mise pour préserver la démocratie difficilement acquise dans le pays.

«  Nous devrons écrire notre propre histoire et cette fois avec la bonne ancre», lance Judith Maroy convaincue que la lutte menée actuellement par elle et tous les congolais pour l’alternance est un combat pour l’avenir de la République démocratique du Congo.

Materne Nsiku

(Etudiante à l’Ecole Technique de Journalisme, ETJ)

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